Je n’ai
jamais hésité à affirmer, du plus objectif que je pouvais l’être, que mes
échecs amoureux s’avéraient entièrement ma faute. Ils impliquent à chaque fois la
mise en œuvre d’une culture bien personnelle de la retenue. J’ai été une cible
facile, dans mon enfance, pour les intimidateurs en herbe, mais je ne crois pas
que ces malfrats bien innocents furent la cause de cette propension à l’auto-sabotage
de mes amours et amourettes. Non, je crois que tout découlait de mon inconfort
dans mon propre corps. Toute tentative de médiation entre mon univers intérieur
et mon environnement immédiat, que ce soit une simple culbute ou un dessin
minutieux, prenait la forme d’un combat. Rarement je gagnais contre moi-même,
et la confiance envers mon êtreté sociale était presque nulle.
Ainsi, au secondaire, alors que mes camarades de classe vivaient leur premier amour, je ne faisais que regarder les filles, et m’imaginer ce qui aurait pu être dans un univers parallèle où j’aurais fait preuve de plus d’assurance. J’eus quelques expériences, au fil du temps, parfois bénéfiques, parfois nuisibles, et presque à chaque fois, un jugement défaillant de ma part menait la relation à terme. Le plus souvent cependant, ce handicap faisait en sorte que la relation ne débutait jamais. Et avant même d’avoir connu la chanson de Brel, je rencontrai Madeleine. Loin d’être un coup de foudre, je trouvai plutôt son apparence étrange, ses traits juvéniles, et sa gêne plutôt déconcertante. Je fis la sourde oreille à quelques tentatives de sa part vers un rapprochement – quel sot je fus! Sans Jean C. je ne serais probablement jamais venu à la conclusion logique la plus fatale de toute mon histoire : j’aimais Madeleine. Je lui courrais littéralement après, un soir, lorsque j’entendis dire mon aîné : « il a autre chose à faire que de rester avec nous, » parlant de sa femme et de quelques collègues. Quant à moi, je réalisai tout bonnement après quoi je courrais vraiment.
Mais le doute abjurant toute action de ma part, je dus me rendre à l’évidence, la belle ne m’attendrait pas éternellement. En fait, je n’osai jamais demander si un jour elle m’attendit. Je devins le fantôme de Gauvreau sans, contrairement à lui, avoir consommé la beauté baroque. Quel aurait été le goût du bonheur? La perfection d’un doux-amer digne d’un prodige de la plus céleste des génétiques? Se trouvait-il une quelconque vertu en l’attente? Mais devant les assauts répétés de la folie, de l’abîme illusoire de la toute-puissance, et du mal ordinaire qu’on fait par ignorance, Madeleine devint un rempart permettant à une personnalité fragmentée de se reconstruire après vingt années de ténèbres et de pleurs. Je ne désire pas susciter la pitié du lecteur. Je dois avouer la présence, pendant toutes ces années, des lumières de l’espoir qui pointèrent souvent et me gardèrent en vie : l’amitié d’une poignée, la dévotion de quelques autres, l’influence de certains, et bien sûr, Madeleine elle-même. Elle ne pouvait sombrer dans l’absence, et l’amour que j’éprouvais toujours pour elle devait connaître une certaine résolution. Je me le devais à moi-même. Je trouvai ainsi, au début d’un mois de septembre tranquille, la solution dans la brume onirique de mon propre imaginaire.
Le rêve, le matériau brut de la conscience, peut importe qu’on la sépare ou non des contraintes matérielles du corps, est souvent chimérique et peu important. Mais il arrive qu’un rêve nous marque pour la vie. De ces songes, j’en garde le souvenir de près d’une dizaine qui a eu, sur ma vie et mon travail, une influence marquante. Le dernier en date concernait Madeleine. Les environs étaient flous, brumeux, je ne pouvais voir que l’être aimé, devant moi, le visage paisible. Elle paraissait si grande, malgré que le rêve lui conférât sa petite taille réelle. Mais l’univers onirique ramenait à l’avant-plan la grandeur d’âme au détriment de toutes considérations spatiales de la réalité, et je savais que Madeleine était plus vertueuse que moi. Peu importait quelle puissance de mon inconscient pilotait le songe, on me sommait de parler. Non… C’était plus qu’une parole, on me permettait d’abandonner le fardeau de mon cœur.
« Est-ce que je peux t’aimer? » demandais-je à Madeleine. J’entendais le geste amoureux à sens unique, je ne parlais guère de réciprocité, et je savais, par le sourire qu’elle me donna ensuite, qu’elle comprenait. Car l’amour est un réflexe de rapprochement avant tout. C’est dans un cas de mutualité des sentiments que l’on peut alors parler de relation. Deux yeux grand ouverts m’indiquaient ainsi la compréhension de ces choses. D’une voix que je savais forte elle me répondit :
« Oui! » Le ton était enjoué, mais ferme, prodigue d’honnêteté et de sérieux. J’aurais tant aimé poursuivre l’échange avec cette itération fantasmagorique de Madeleine, mais l’inconscience me draguait vers d’autres mondes. Ce n’était pas grave, le sentiment était bon. Et je compris plus tard que, sous les traits de la bien-aimée, je m’étais accordé l’absolution. Ce rêve répondait à un autre que j’avais fait quelques jours auparavant, qui m’avait profondément troublé. Dans ce rêve, je me trouvais dans un appartement d’une configuration étrange, une aire ouverte, avec peu de murs, et des pièces à différents niveaux, séparées souvent par de grands draps de velours sombres. Il s’y tenait une soirée costumée, mais je ne me souviens d’aucun costume, mis à part que le mien consistait, entre autres, d’une robe noire. Je trouvai Madeleine, magnifique, mais rapidement, le rêve me rappela de manière brutale l’impossibilité de mutualité dans les sentiments que j’éprouvais pour elle. Non seulement le propos du songe me rappelait ma situation, mais l’atmosphère dans laquelle il se déroulait se voulait malsaine, violente. Car si je ne pouvais pas exulter cet amour dans l’imaginaire, j’étais bel et bien, ne serait-ce que de la raison, perdu.
Mais le rêve subséquent vint chasser une certaine culpabilité, ou plutôt me faisait assumer, après des années, que ces sentiments, dépourvus de toute réciprocité, demeuraient, dans l’imaginaire, valables. Il était donc possible de les faire parler, de créer validement à partir d’eux. Et j’entretiens la conviction que Madeleine, la vraie, serait d’accord avec ce fil de pensée. Souvent, la nuit, je demeure éveillé dans mon lit, fixant les ténèbres réconfortantes, et je me demande ce qu’elle devient. Je lui fais serment de continuer à vivre sans être prisonnier d’un passé peut-être idéalisé mais bien réel, ces moments où j’ai partagé le temps avec elle. Je me contenterai simplement de lui ériger des monuments, en laissant ma capacité à l’amour effleurer le visage de quiconque voudra bien m’ouvrir son cœur. Quant à Madeleine, elle demeurera blottit au fin fond de mon être, à me réchauffer dans les moments de froidure et à sourire, lorsqu’il fera beau.
Ainsi, au secondaire, alors que mes camarades de classe vivaient leur premier amour, je ne faisais que regarder les filles, et m’imaginer ce qui aurait pu être dans un univers parallèle où j’aurais fait preuve de plus d’assurance. J’eus quelques expériences, au fil du temps, parfois bénéfiques, parfois nuisibles, et presque à chaque fois, un jugement défaillant de ma part menait la relation à terme. Le plus souvent cependant, ce handicap faisait en sorte que la relation ne débutait jamais. Et avant même d’avoir connu la chanson de Brel, je rencontrai Madeleine. Loin d’être un coup de foudre, je trouvai plutôt son apparence étrange, ses traits juvéniles, et sa gêne plutôt déconcertante. Je fis la sourde oreille à quelques tentatives de sa part vers un rapprochement – quel sot je fus! Sans Jean C. je ne serais probablement jamais venu à la conclusion logique la plus fatale de toute mon histoire : j’aimais Madeleine. Je lui courrais littéralement après, un soir, lorsque j’entendis dire mon aîné : « il a autre chose à faire que de rester avec nous, » parlant de sa femme et de quelques collègues. Quant à moi, je réalisai tout bonnement après quoi je courrais vraiment.
Mais le doute abjurant toute action de ma part, je dus me rendre à l’évidence, la belle ne m’attendrait pas éternellement. En fait, je n’osai jamais demander si un jour elle m’attendit. Je devins le fantôme de Gauvreau sans, contrairement à lui, avoir consommé la beauté baroque. Quel aurait été le goût du bonheur? La perfection d’un doux-amer digne d’un prodige de la plus céleste des génétiques? Se trouvait-il une quelconque vertu en l’attente? Mais devant les assauts répétés de la folie, de l’abîme illusoire de la toute-puissance, et du mal ordinaire qu’on fait par ignorance, Madeleine devint un rempart permettant à une personnalité fragmentée de se reconstruire après vingt années de ténèbres et de pleurs. Je ne désire pas susciter la pitié du lecteur. Je dois avouer la présence, pendant toutes ces années, des lumières de l’espoir qui pointèrent souvent et me gardèrent en vie : l’amitié d’une poignée, la dévotion de quelques autres, l’influence de certains, et bien sûr, Madeleine elle-même. Elle ne pouvait sombrer dans l’absence, et l’amour que j’éprouvais toujours pour elle devait connaître une certaine résolution. Je me le devais à moi-même. Je trouvai ainsi, au début d’un mois de septembre tranquille, la solution dans la brume onirique de mon propre imaginaire.
Le rêve, le matériau brut de la conscience, peut importe qu’on la sépare ou non des contraintes matérielles du corps, est souvent chimérique et peu important. Mais il arrive qu’un rêve nous marque pour la vie. De ces songes, j’en garde le souvenir de près d’une dizaine qui a eu, sur ma vie et mon travail, une influence marquante. Le dernier en date concernait Madeleine. Les environs étaient flous, brumeux, je ne pouvais voir que l’être aimé, devant moi, le visage paisible. Elle paraissait si grande, malgré que le rêve lui conférât sa petite taille réelle. Mais l’univers onirique ramenait à l’avant-plan la grandeur d’âme au détriment de toutes considérations spatiales de la réalité, et je savais que Madeleine était plus vertueuse que moi. Peu importait quelle puissance de mon inconscient pilotait le songe, on me sommait de parler. Non… C’était plus qu’une parole, on me permettait d’abandonner le fardeau de mon cœur.
« Est-ce que je peux t’aimer? » demandais-je à Madeleine. J’entendais le geste amoureux à sens unique, je ne parlais guère de réciprocité, et je savais, par le sourire qu’elle me donna ensuite, qu’elle comprenait. Car l’amour est un réflexe de rapprochement avant tout. C’est dans un cas de mutualité des sentiments que l’on peut alors parler de relation. Deux yeux grand ouverts m’indiquaient ainsi la compréhension de ces choses. D’une voix que je savais forte elle me répondit :
« Oui! » Le ton était enjoué, mais ferme, prodigue d’honnêteté et de sérieux. J’aurais tant aimé poursuivre l’échange avec cette itération fantasmagorique de Madeleine, mais l’inconscience me draguait vers d’autres mondes. Ce n’était pas grave, le sentiment était bon. Et je compris plus tard que, sous les traits de la bien-aimée, je m’étais accordé l’absolution. Ce rêve répondait à un autre que j’avais fait quelques jours auparavant, qui m’avait profondément troublé. Dans ce rêve, je me trouvais dans un appartement d’une configuration étrange, une aire ouverte, avec peu de murs, et des pièces à différents niveaux, séparées souvent par de grands draps de velours sombres. Il s’y tenait une soirée costumée, mais je ne me souviens d’aucun costume, mis à part que le mien consistait, entre autres, d’une robe noire. Je trouvai Madeleine, magnifique, mais rapidement, le rêve me rappela de manière brutale l’impossibilité de mutualité dans les sentiments que j’éprouvais pour elle. Non seulement le propos du songe me rappelait ma situation, mais l’atmosphère dans laquelle il se déroulait se voulait malsaine, violente. Car si je ne pouvais pas exulter cet amour dans l’imaginaire, j’étais bel et bien, ne serait-ce que de la raison, perdu.
Mais le rêve subséquent vint chasser une certaine culpabilité, ou plutôt me faisait assumer, après des années, que ces sentiments, dépourvus de toute réciprocité, demeuraient, dans l’imaginaire, valables. Il était donc possible de les faire parler, de créer validement à partir d’eux. Et j’entretiens la conviction que Madeleine, la vraie, serait d’accord avec ce fil de pensée. Souvent, la nuit, je demeure éveillé dans mon lit, fixant les ténèbres réconfortantes, et je me demande ce qu’elle devient. Je lui fais serment de continuer à vivre sans être prisonnier d’un passé peut-être idéalisé mais bien réel, ces moments où j’ai partagé le temps avec elle. Je me contenterai simplement de lui ériger des monuments, en laissant ma capacité à l’amour effleurer le visage de quiconque voudra bien m’ouvrir son cœur. Quant à Madeleine, elle demeurera blottit au fin fond de mon être, à me réchauffer dans les moments de froidure et à sourire, lorsqu’il fera beau.
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