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Saturday, January 15, 2022

Critiques littéraires 2021

C’est le Québec qui est né dans mon pays (Emanuelle Dufour, 2021)
Œuvre coup de poing qui, malgré son didactisme qui frôle la condescendance, me force à réévaluer toutes mes considérations politico-historique. Bref, je dois réfléchir sur mes positions, et c’est, je crois, le but de l’autrice que de faire réfléchir. Habilement montée, élégamment illustrée, le but de cette bande-dessinée est claire et précis, et je crois que son but est atteint haut la main. (Terminé en août 2021)

Il est strictement défendu de boire en studio - 30 ans de bénévolat à CISM (Alexandre Fontaine Rousseau, 2021)
Anecdotes savoureuses, mais surtout instructives sur la célèbre « station la plus à gauche sur la bande FM », et les débuts de plusieurs figures marquantes du journalisme et des communications québécoises. Une chouette lecture sur une institution qui ne devrait jamais perdre de vue sa ligne éditoriale, ni son héritage. (Terminé en novembre 2021)

Indien stoïque (Daniel Sioui, 2021)
Dans une prose jouale extrêmement bien construite, Daniel Sioui fait beaucoup plus que ce qu’il annonce d’emblée, c’est-à-dire exprimer sa colère par rapport à l’histoire des peuples autochtones du Canada depuis la Nouvelle-France. Parfois avec un enthousiasme utopiste, parfois avec une lucidité constructive, il pose les fondements d’un avenir politique réaliste pour les Premières Nations, sans aucune prétention : ici, Sioui n’est ni essayiste, ni sociologue, ni acteur sur la scène politique. Il est un écrivain – il n’aimera pas l’étiquette! –, un observateur qui insiste pour d’importants changements culturels, économiques et politiques au sein de la structure même du Canada. (Terminé en octobre 2021)

Le démon de l’île solitaire (孤島の鬼, Kotō no oni, 1929-30), Edogawa Ranpo
Ici, ero guro nansensu (érotique, grotesque, non-sens) prends tout son (sic) sens. Et fait de Ranpo le maître du genre. Si l’auteur étire parfois un peu trop le suspense de certaines situations plutôt banales – ce qui arrive en fait deux fois, je dirais –, cela tient plus de la publication d’origine en feuilleton que d’un manque de technique. De toute façon, c’est plutôt l’exploration, dans la psyché humaine, de ce qui était, à l’époque, considéré comme transgressif – et certaines lubies des personnages, qui s’apparentent au body horror, me semblent bien de réelles perversions – qui est intéressante ici, plus que l’enchaînement de mystères que forment l’intrigue. Si Ranpo cite sans gêne ses influences, il démontre qu’il est capable de bien plus que les émuler : il les intègre à une œuvre qui lui est délicieusement personnelle. (Terminé le 1/6/2021)

L’incroyable Andy Kaufman (Box Brown, 2018, version française 2021)
La vie d’Andy Kaufman est intrigante : un génie de la performance, un provocateur malgré une sensibilité qu’il ne parvient jamais à cacher réellement, un être profondément troublé aux lubies étranges, et une fin malheureusement tragique. Mais ce roman graphique, malgré la richesse de son sujet, est unidimensionnel et on ne sait pas exactement ce que l’auteur cherche à démontrer. S’il essaie de nous présenter un personnage aux pulsions conflictuelles du soi, cela tombe à plat. On se concentre surtout sur la lutte : ses fantasmes mis en scène dans sa « lutte féminine » et ses manigances en tant que « méchant » dans la lutte professionnelle. Mais aucune ligne directrice. Toute œuvre biographique, même une autobiographie, ne peut être objective. Comme le véritable cinéma documentaire, un point de vue intrinsèque doit être trouvé sinon, on tombe dans la platitude de reportages sans intérêts. La seule pointe de l’ambivalence du caractère de Kaufman arrive à la toute fin, et semble être là pour terminer le tout machinalement sur une note heureuse. Décevant. (Terminé le 17/6/2021)

L’Ombilic des limbes et Le Pèse-Nerfs (Antoning Artaud, 1925)
La poésie d’Artaud est un réseau architectural d’une extraordinaire minutie. Ses descriptions de la maladie psychique ne peuvent que former une œuvre d’art, mais en même temps, elles précisent la nature de la souffrance intérieure, ce qui donne une valeur presque scientifique au texte, malgré que la science seule ne sera probablement jamais capable de bien rendre compte de l’esprit. (Terminé en août 2021)

Mille secrets mille danger (Alain Farah, 2021)
Ce roman semble à ce point un projet personnel qu'il m'est difficile de le critiquer. Si les procédés stylistiques sont justes et élégants, l'auteur se perd à plusieurs reprises dans des détours formels qu'il aurait pu aisément couper. Au profit des personnages, d'ailleurs, qui sont opaques et, surtout en ce qui concerne les 2 personnages féminins, manquent définitivement de profondeur. Quand on comprend l'importance de l'une d'entre elle, on ne peut être que déçu de ne pas avoir creusé davantage la relation avec le narrateur. Les personnages qui s'en sortent le mieux me semblent être les plus âgés : le père, le dentiste et la mère. Quand au narrateur, prétendument l'auteur même, l'autodérision finit par prendre, à la longue, un ton apologétique. Ce n'est pas un mauvais roman, mais il m'apparait plutôt inachevé.

Quand je ne dis rien je pense encore (Camille Readman Prud’homme, 2021)
Une poésie intérieure. Passer par l’intime pour atteindre l’ailleurs? Le cosmique? Peut-être. Mais c'est d'abord une cartographie de l'âme, celle de la poète, mais aussi la mienne, même si on ne se connaît pas. Un recueil fameux. (Terminé 10/11/2021)

Rendez-vous secret (密会, Mikkai), Kôbô Abe, traduit par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura.
Je dois étudier plus en détail l’œuvre. Ce que je comprends, c'est que Kobo semble faire un usage magistral de la spécificité grammaticale de la langue japonaise en ce qui concerne le sujet. Sa critique du monde médicale transparait dans "Rendez-vous secret", et cette notion d'anti-évolution, qui s'anime dans l'humanité me parait comme une réflexion des grands thèmes kafkaïens poussé à son extrême. Kobo m'apparait comme fasciné par l'hyperbole, l'extrême sensibilité de la perception humaine. Est-ce que son pessimisme résulte d'un dégoût d'une humanité qui l'aurait déçu? Ou d'un profond regret pour ses comparses devant un absurde ravageur? Et que penser de la sexualité du protagoniste, qui semble résister aux pulsions propres à la masse, mais se veut plus ambivalent aux désirs de la « fille de la chambre huit »? Tout cela est difficile à déterminer, mais le plaisir de ce roman bien particulier est d’y réfléchir. Au fond, peut-être suis-je trop sensible et ne peux supporter le regard détaché du romancier face à ses personnages. Peut-être est-il un habile dénonciateur du jeu politique. Peut-être est-ce tout ce que je viens d’énoncer à la fois! (Terminé le 29/6/2021)

Stalker (Pique-nique au bord du chemin) (Arkadi et Boris Strougatski, 1972. Traduit par Svetlana Delmotte).
Le roman qui a inspiré le grand film d’Andrei Tarkovski (et dont Folio lui a préféré le titre au détriment de l’original) ne saurait être plus différent : malgré la similarité de certains thèmes, seul la prémisse de base est conservé par le cinéaste et, au contraire du rythme lent et contemplatif que lui donne ce dernier, le roman des frères Strougatski est hyperactif, sans temps-mort, et ce malgré d’importants changements de tons et de perspectives entre les chapitres, ce qui rend le suspense une affaire autant narrative que formelle ou thématique.
Le texte français traduit l’argot russe en argot franchouillard, et les personnages s’expriment à la manière d’Arletty! Le résultat est déroutant, et provoque un double exotisme au lecteur non-français, qui n’a jamais été recherché par les auteurs. Mais après tout, Gallimard est un éditeur français…
Au final, un roman qui me semble important dans l’histoire de la littérature de science-fiction, de par son ambition discursive et son inventivité stylistique. (Terminé le 3/10/2021)

Tableau final de l’amour (Larry Tremblay, 2021)
J’ai dû m’habituer à l’écriture de Tremblay. La débauche du narrateur, ce Francis Bacon fantasmé, m’apparut d’abord artificiel, juvénile. Mais au fil des pages, une certaine sympathie pour le personnage s’est développée, de sorte qu’à la conclusion, je savais que l’allais m’en ennuyer. Une œuvre intéressante dont l’impudeur est franche bien qu'à certains moments, immature. Mais peut-être en est-ce sa plus grande vertu. (Terminé le 9/9/2021)

Watchmen, écrit par Alan Moore, illustré par Dave Gibbons. 1986-1987
Le super-héros est mort avec la première adaptation de Superman par Richard Donner en 1979 – par ailleurs un très bon film. Watchmen en est un cercueil élégant et implacable : on ne peut pas revenir en arrière après cet œuvre. Rarement les ruminations nietzschéennes de la culture populaire ont été utilisées de manière aussi admirable, et le nihilisme postmoderne n’a jamais été aussi multidimensionnel. Les thèmes classiques, traités richement, sont élevés par une introspection du médium qui ne peut qu’en faire un chef-d’œuvre du genre. Il semble que seuls les comics qui ont acceptés et intégrés la mort du super-héros classique recèlent d’une pertinence indubitable après Watchmen. (Terminé le 10/8/2021)

Critiques cinéphiliques 2021

A Hidden Life (Malick, 2019). Après quelques films peu intéressants, Malick revient à la grandeur avec ce film qui raconte l’histoire vraie d’un paysan autrichien qui a refusé obstinément de jurer allégeance à Hitler pendant la seconde guerre mondiale, ce qui lui a valu ultimement la peine de mort. Utilisant les dispositifs présents dès The Thin Red Line, soit des plans contemplatifs des environnements liés au récit, ainsi que des voix off qui révèle le monde intérieur des personnages – cette fois-ci, surtout les lettres que s’échangent les époux –, Malick présente un récit intime, peut-être la caractéristique la plus intéressante de ses trois films précédant, afin d’illustrer le caractère spirituel de son héros, sans pour autant tomber dans le moralisme facile. Le film ose poser la question à savoir si la ferveur du personnage en vaut bien la peine, mais ne porte pas de jugement définitif sur la question. Le héros ne se bat pas autant contre les atrocités que commet le régime nazi que contre l’indifférence qu’il génère au sein de ses membres, ce qui, au final, permet de commettre l’impensable. Malick ose faire un lien tout de même subtil entre la foi si chère à nombre d’états-uniens d’aujourd’hui et celle du héros, par le langage utilisé et en ramenant cette foi chrétienne à la quotidienneté d’un mariage heureux. Un film d’une intelligence magistrale sur la foi religieuse qui transcende les bases historiques du récit. (9/10/2021)

Annette (Carax, 2021). Une étude de caractère étonnante servie remarquablement bien par les recherches stylistiques du réalisateur. D’abord déroutant, ce n’est pas un film facile, le sujet est sérieux et les personnages, sombres : Ann incarne le tragique, Henry la corruption de l’âme, et l’accompagnateur, la bonté. Quant à Annette, elle est d’abord un instrument, personnage tragique en soi, mais qui sait!? D’excellentes performances et des décalages inattendus à souhait, mené par une trame sonore qui parvient à se démarquer des musicals habituels (à la Webber, disons…) (28/8/2021)

Beyond the Black Rainbow (Cosmatos, 2010). Deuxième visionnement. C’est un bon film, pas de doutes là-dessus. Un « trip » formel qui délaisse trop, je pense, l’expression de ses thèmes et possiblement de son intrigue. C’est bien un film qui nous pousse à chercher les idées derrières, de très bonnes idées, mais il faut quand même que ces idées, ces concepts, ne soient pas totalement occultés par la forme! Bref, une expérience inégale, mais pas désastreuse. (19/4/2021)

Bird (Eastwood, 1988). Le deuxième film réalisé par Eastwood que je voie après Changeling, et le verdict est le même : son style de réalisation m’est ennuyeux et si les acteurs sont, en général, excellent, on ne leur offre presque jamais la chance de briller, ce qui est dommage, surtout pour Whitaker et Venora. Ses cadrages sont statiques – et ce, même si la caméra bouge!! –, et l’image est unidimensionnelle et plate. Son montage manque dramatiquement de dynamisme, bref, il appert qu’Eastwood est un bien mauvais réalisateur – mais peut-être un bon directeur d’acteur(?) Très décevant, surtout considérant la nature du sujet : la vie du saxophoniste légendaire Charlie Parker. (23/10/2021)

Come Back to the 5 & Dime Jimmy Dean, Jimmy Dean (Altman, 1982). Un très bon film au minimalisme formel utilisé habilement par Altman. Le scénario, particulièrement les dialogues et la construction des personnages, fait montre d’une grande maîtrise de l’écriture théâtrale, malgré tout ce que la critique en a dit à l’époque. Peut-être que le sujet très « progressiste » et critique des institutions patriarcales américaines du milieu du vingtième siècle était trop difficile à avaler pour l’élite spectatorielle de l’époque? Peut-être que ces femmes qui, au final, montre la force de leur résistance envers l’ « establishment » fait peur à ceux qui chercheraient encore le rêve américain? Car le Texas que nous montre ce film révèle la folie inhérente à sa société, que le culte de l’apparence parvient (à peine) à camoufler. Du grand cinéma. (31/7/2021)

Conan the Barbarian (Milius, 1982). Ce film est fabuleux! Il traite son sujet dignement, lui donne une consistance intellectuelle assumée qu’on retrouve rarement dans le blockbuster hollywoodien. On traite du surhomme, mais les muscles révèlent derrière une ode à une volonté nietzschéenne, et parvient même à anoblir le mythe tout américain du « self-made man » (qui s’oppose à un fascisme théocratique, rien de moins), tout ça en utilisant à merveille le talent limité de Schwarzenegger. Et cette limite trouve sa place parmi une distribution dont chaque membre use d’un registre différent : James Earl Jones joue l’antagoniste avec subtilité, Sandahl Bergman est stoïque et lyrique, Gerry Lopez rigide et bienveillant, alors que Max von Sydow surjoue avec élégance. La musique inspirée de Basil Poledouris ajoute à la valeur artistique du produit fini. Un divertissement avec substance qui rend hommage à un héros des années glorieuses des pulp magazines. (28/8/2021)

Evangelion : 3.0+1.01 Thrice Upon a Time (Anno et al., 2021). La série originale (avec ou sans les épisodes en director’s cut), et les deux films qui la concluent, forment un tout que je n’hésite pas à qualifier de chef-d’œuvre, malgré sa brutalité et son hermétisme. On y retrouvait un équilibre efficace d’allégories mystérieuses, de symbolisme bien pensée, et surtout, d’un discours cohérent et pertinent. Les 4 films qui forment le « Rebuild », celui dont on parle ici étant la conclusion, étaient parfaitement inutile. Si le premier tiers de 3.0+1.01 part du bon pied, en montrant la résilience de l’humanité à travers la vie de campagne d’un village de réfugiés, les deux derniers tiers de ce film beaucoup trop long ne sont que surenchère d’allégorie et de symbolique, pour en plus, expliquer clairement le « message ». La version originale se laissait regarder, nous faisait poser beaucoup de questions, puis nous forçait à réfléchir et établir des liens. On laissait le tout mijoter, et quelques années plus tard, on regardait à nouveau, et l’on se surprenait à comprendre encore mieux, quitte à s’être trompé. Chaque visionnement amene du neuf. Cette fois, on explique tout et termine sur une note positive pour satisfaire tout le monde. Décevant. (22/8/2021)

Gräns (Abbasi, 2018). Un film de fées (pas un conte de fées) sous un angle réaliste. De quoi aurait l’air la vie d’un « faërie » dans le monde réel? Ensuite, il y a la question du mal, hors de la notion de la tradition judéo-chrétienne, qui rapproche le film du néo-paganisme scandinave. J’ai toujours vu la mythologie comme une façon d’humaniser la nature, et ce film va dans le sens contraire, mais la proposition est si intéressante que je n’ai pu qu’être charmé par un film bien singulier, souvent dérangeant, et très fort. Bravo! (1/1/2021)

Inferno (Argento, 1980). Après le chef-d’œuvre que fut Suspiria, Argento poursuit sa trilogie des mères avec un film qui ressemble à un mauvais hommage à son premier volet! Si sa caméra offre toujours des cadres magnifiques qui découpent toujours l’espace de manière intéressante, voire inquiétante, la représentation de l’horrifique est franchement ordinaire, et souvent amateur. Suspiria était basé sur des atmosphères que la musique de Goblin montait à des sommets rarement égalés, et offrait un trip formel hypnotique qui ne nécessitait pas la péripétie à tout prix. Inferno, au contraire, ne semble jamais savoir où concentrer l’attention du spectateur, et la musique de Keith Emerson est rarement inspirée. On a beaucoup critiqué le scénario, qui ne m’apparait pourtant pas si mal. Ce n’est pas ce qui gâche le film. (30/3/21)

Just a Gigolo (Hemmings, 1978, version de 1h41). Un film étrange sur l’Allemagne de l’entre-guerre. On y voit la décadence de la vie des hautes classes d’abord sur fond comique, mais même l’ironie et la satire, alors qu’on suit le protagoniste dans sa carrière de gigolo, fait voir un monde d’illusions vaines et de prétentions futiles. Puis, alors que monte l’influence du parti nazi, on découvre le même opportunisme dont faisait usage l’ancienne aristocratie, et la triste réalité qu’on ne craint nullement le meurtre pour arriver à ses fins.
Mais le film ne se concentre pas sur la politique, il nous fait suivre un soldat somme toute ordinaire dont le principal ennemi est la désillusion. Si les puissants font d’abord penser à des clowns, ils révèlent au protagoniste la même mélancolie qui l’accable, et c’est ce qui est intéressant dans le film. Quelques peu décousu (le film a été charcuté dès le départ, passant de 147 à 98 minutes), il s’agit néanmoins d’un visionnement très intéressant, et pertinent. (24/7/2021)

Killer Klowns from Outer Space (Chiodo, 1988). La réalisation est d’une banalité et rate souvent de belles occasions de gags et ce, en en réussissant pourtant plusieurs excellents! La moitié de la distribution est viscéralement nulle, mais l’autre moitié compense amplement. Les effets visuels sont étonnants et souvent de bien meilleure qualité que ceux de bien des blockbusters récents! Bref, malgré les défauts mentionnés ci-haut, ce film s’avère, au final vraiment amusant et inventif. Une belle surprise! (25/9/2021)

Lancelot du Lac (Bresson, 1974). J’ai toujours un faible pour ces « modèles » de Bresson, ces non-acteurs au jeu plus sobre que sobre, dépourvu de psychologie jouée. Je comprends totalement que cela puisse agir comme profond soporifique pour beaucoup, mais une fois qu’on accepte la règle, cela amène le regard vers la physionomie du personnage, qui révèle beaucoup. Comment ne pas trouver Gauvain sympathique, et Guenièvre, Arthur et Lancelot déchirés, que dans le regard de chacun, ou la coiffure, ou la tessiture-même de leur voix? Dans un film de légende arthurienne, on dirait que ces gestes artificiels rendent plus dramatiques les intrigues puériles des chevaliers qu’un jeu théâtral. Je ne pense pas que Lancelot du Lac figure parmi le meilleur de Bresson, lorsque le non-jeu et les images s’accordent parfaitement, comme dans les chefs-d’œuvre Mouchette ou Pick-Pocket. Mais le côté tragique de la légende arthurienne est somme toute fort bien rendu par la « méthode Bresson ». (11/12/2021)

Legend (Scott, Director’s Cut, 1985). À mon avis, Legend (le Director’s Cut) fait parti des 4 meilleurs films de Ridley Scott. Le visuel est exquis et démontre une très grande maîtrise de ses concepteurs. La trame sonore de Jerry Goldsmith est inspirée et particulièrement efficace. Les dialogues sont brillants, mêlant un anglais des plus classiques à des expressions bien contemporaines qui contrastent autant que les thèmes musicaux éthérées de la quête au thème brutal et synthétiques des goblins. La prémisse est vieux jeu, il faut l’admettre, mêlant un christianisme dualiste aux mythes païens du moyen âge et de l’antiquité, mais l’ensemble fonctionne plutôt bien, malgré quelques problèmes de rythme et certains personnages un peu trop cabotins. N’empêche, l’univers intemporelle qu’on nous présente est sophistiqué et bien pensée, et le discours, bien que daté, tient la route. Ce film est franchement intéressant. (4/12/2021)

Little Women (Gerwig, 2019). Bien que je n’aie pas lu le roman adapté ici, je dois admettre que le film, en lui-même, est grandiose. Adroitement scénarisé, la réalisation crée des nappes atmosphériques qui offrent la chance aux acteurs d’insuffler à leur personnage une complexité nécessaire au questionnement existentiel derrière l’œuvre : à savoir, la condition d’être femme au 19ème siècle. Gerwig excelle à passer subtilement du tragique à l’optimisme sans tomber dans le piège des « bons sentiments ». La musique ne sonne jamais datée, et si certains clichés – issus sans aucun doute du texte original – se retrouvent dans les dialogues et passent moins bien, cela est vite oublié tant l’ensemble est au final harmonieux. On ne peut passer sous silence l’excellence de la distribution : ces femmes sont de grandes actrices! Et la réalisatrice démontre une fois de plus sa maîtrise du médium cinématographique, particulièrement dans le traitement méta-narratif de la finale. (23/10/2021)

Logan Lucky (Soderbergh, 2017). C’est le genre de film américain qui vieillit bien. Soderbergh fait des films « faciles », il s’est rarement essayé aux méditations intellectuelles ou philosophiques (bien que ses tentatives fussent réussies), mais il a la capacité d’insuffler à une prémisse simpliste des éléments qui rendent bien souvent le résultat des plus intéressants. Ses idées de mises en scène, la confiance qu’il accorde à ses acteurs, son usage du montage, de la musique, sont toujours fascinantes, et souvent, comme c’est le cas avec Logan Lucky, le résultat est épatant. Il a montré l’ampleur de son talent dans son diptyque sur le Che, il a bien le droit de nous offrir du divertissement intelligent! (1/1/2021)

Midsommar (Aster, 2019). Je suis incertain du résultat. Beau, bien joué, mais deux des quatre personnages principaux me font décrocher par leur stupidité caricaturale. On aurait gagné à mieux explorer la distance du couple au centre du film, ce qui est, au final, la relation la plus intéressante du récit. Viens ensuite la question du culte païen lui-même, dont les pratiques semblent provenir des sagas écrites après la christianisation de la Scandinavie, et où certains y voit une condamnation plus ou moins fictionnalisante d’un temps barbare. Ces pratiques sont horrifiques et peuvent servir une entreprise comme un film d’horreur, et Aster semble justement chercher à choquer un public aux valeurs judéo-chrétiennes… comme les américains! Mais avec quoi? Une « menace » éteinte depuis des siècles!? Cela m’amène à me demander si, pour Aster, il s’agit d’une simple recherche d’exotisme, ou s’il se cacherait, derrière son écriture, une personnalité dévote (et possiblement misogyne) qui a fait deux « cautionary tales » de suite contre le paganisme. De belles images sans vraiment de substance… (5/9/2021)

Millennium (Anderson, 1989). Un ambitieux projet fait avec des moyens limités qui sort plutôt bien. Le scénario inventif démontre une bonne connaissance des théories scientifiques de l’époque, ce qui rend le jargon pseudo-technique moins indigeste que dans bien des grosses productions de science-fiction. La mise en scène est suffisante, dans l’ensemble, et si l’on avait remplacé les robots par des êtres synthétiques à la Alien, la vision du futur aurait été plus solide « crédible ». Je ne m’étendrai pas sur les effets spéciaux, loin d’être mauvais, mais la mode du photoréalisme qui semble dominer ces jours-ci les attentes des cinéphiles amateurs de science-fiction risquent d’en laisser froid plus d’un, tristement. (12/6/2021)

O-Bi, O-Ba: Koniec cywilizacji (Szulkin, 1985). Film de science-fiction dystopique polonaise qui exprime admirablement bien les angoisses politico-sociale des états communistes avant le démantèlement de l’U.R.S.S. La dégénérescence des masses dans une inertie de pensée, la résistance de certains devant cette inertie, les limites de la police de la pensée, autant pour ceux qui la subisse que ceux qui l’exerce : une vision nihiliste de tout système autoritaire, qui ne peut mener qu’au néant. Et cette réflexion sur la persistance du phénomène religieux malgré le sécularisme, qu’il soit outil de contrôle social ou l’espérance nécessaire à se garder sain d’esprit, est tout à fait particulière. Visuellement, la cinématographie injecte aux images une poésie d’un lyrisme qui adoucit le nihilisme du récit. En effet, l’atmosphère est méditative et non désespérée, et ce, malgré le jeu sanguin des acteurs, qui jouent la folie viscéralement, hyperboliquement. J’aurais cru la censure dans la Pologne des années 80s plus sévère devant une telle œuvre. Je dois me renseigner sur ce film que j’ajoute avec joie dans ma liste de classiques. (25/9/2021)

Om det oändliga (About Endlessness, Andersson, 2019). Tableaux de vies pas si ordinaires qui, selon l’usage formel qu’en fait réalisateur, éveille la réflexion et une appréciation esthétique. Le style peut être nommé « anderssonien », il est unique, idiosyncratique et provoque en moi un étrange sentiment de complétude que je ne saurais traduire en mot. Grandiose. (19/6/2021)

Phoenix (Petzold, 2014). Un film intéressant où on semble privilégier la symbolique, ou la poésie, à une approche plus réaliste. Cela est évident à la facture visuelle, mais également dans le scénario, qui me semble, en certain point, difficile à avaler. Le réalisateur n’est pas en mesure de se donner entièrement dans la poésie, d’où la perte, à mon sens, de l’effet de vraisemblance. La performance de Nina Hoss est sublime, tout comme celle de Nina Kunzendorf. Pas désagréable, mais un peu confus. (13/11/2021)

Popeye (Altman, 1980). Popeye est un film qui élève le déséquilibre au rang d’œuvre d’art. Déjà Altman aimait le fouillis, un fouillis qu’il contrôle extrêmement bien. Mais dans Popeye, ce fouillis atteint une forme de paroxysme : il devient schizophrénique, à la manière des films d’animation des frères Fleischer, que le réalisateur s’amuse à émuler avec ses chorégraphies impossibles et surchargées. Le film prend du temps à se centrer sur ses deux héros, on se concentre d’abord sur le village, ou plutôt, son atmosphère, ce qui inclus à la fois le clin d’œil aux frères Fleischer déjà mentionné, mais à un commentaire social duquel on se détache peu à peu afin au fur et à mesure que les valeurs familiales deviennent l’enjeu. Ici, ces rapports ne sont pas artificiels, comme on le voit souvent à Hollywood. Robin Williams et Shelley Duvall font preuve de suffisamment de savoir faire pour rendre leurs personnages sincèrement touchants. Ce n’est pas le meilleur film d’Altman, et c’est loin d’être le film grand public que les studios devaient attendre, mais il s’agit d’une adaptation à fois de comic strips et d’une série d’animation qui se veut amusante, intelligente, et fidèle à une époque entière de l’histoire de l’illustration et de l’animation. Très bon. (11/9/2021)

Rebecca (Hitchcock, 1940). Le premier long métrage américain d’Hitchcock. Si la naïveté maladive de l’héroïne, transposée presque agressivement à l’écran frôle le mauvais goût – le réalisateur n’a de toute façon jamais été reconnu pour ses convictions féministes… – la seconde moitié devient beaucoup plus intéressante. La métamorphose de cette même héroïne aurait pu être plus radical, mais c’est surtout Laurence Olivier (toujours impressionnant) vaincu par son passé, et l’enquête qui le retrouve confronté au mystérieux Jack Favell qui réussi à élever le film. Outre la musique absurdement datée, certaines scènes demeurent remarquables, particulièrement la confession du héros, où l’on suit un « personnage » inexistant dans ce qui s’avère ses derniers gestes. La perfide Mme Danvers est également un point fort, l’interprétation de Judith Anderson, qui passe d’une subtilité insidieuse aux proportions gonflées propre au genre gothique, illustre un jeu contrôlé et une mise en scène soignée. Un très bon film, qui ne déchante que par la mauvaise musique (petit jeu de mot, ici). (15/5/2021)

Tanin no kao (The Face of Another, Teshigahara, 1966). L’une des quatre collaborations entre le romancier Kôbô Abe et Hiroshi Teshigahara. Si la mise en situation est un brin trop longue et ardue, le film prend un rythme efficace jusqu’à la finale qui se veut peut-être un peu trop didactique. N’empêche, la question d’identité, et la valeur de l’image corporelle qui est lié, sont adroitement traitées dans une fable tragique que la musique du grand Toru Takemitsu projette dans une modernité déjà assumée par la mise en scène et la direction artistique. Un bon film, mais pas un essentiel. (3/7/2021)

Tenet (Nolan, 2020). Un thriller de hard sci-fi sur une prémisse du type « Twilight Zone » gonflée en spectacle par un budget indécent. Pas mal du tout : une intrigue soignée, une mise en scène solide et une trame sonore inspirée ne sont ternis que par l’inclusion d’une morale hollywoodienne un peu facile dans des dialogues qui n’étaient vraiment pas nécessaire. Un bon « Hollywood » bien usiné. (14/8/2021)

The Barbarians (Deodato, 1987). Matriarcat et patriarcat s’affrontent de manière spectaculaire, pour ainsi dire. Si les femmes sont montrées comme d’excellentes leaders, elle ne font pas le poids devant la cruauté du machisme typique des années 80 que l’on tourne en ridicule de manière hilarante! Les talents limités des acteurs incarnant les deux héros ne font qu’ajouter au plaisir d’un film qui ne se prend vraiment pas au sérieux, coupant avec l’approche hollywoodienne, dont on en fait une efficace parodie. Ce film ne révolutionne rien, attention! Ce n’est pas un manifeste mais une pure pièce d’entertainment typique de son époque. Malgré tout, quelques acteurs (et surtout les deux actrices principales) s’en sortent plutôt bien. Ce film culte est un petit bijou grâce à un grand sens de l’autodérision! (24/6/2021)

The Blues Brothers (Landis, Collector’s Edition, 1980). C’est l’une de ces comédies bien écrites, bien joués et bien filmées, dont l’intelligence, et la morale progressiste, se fondent en élégance. Plusieurs scènes d’anthologie, dont plusieurs numéros musicaux – et pas par n’importe qui!! Le dosage d’absurde et d’ « over-the-top » est simplement sublime. C’est une leçon de comédie d’un genre qui a disparu depuis longtemps. (4/12/2021)

The Devil Rides Out (Fisher, 1968). Un thriller surnaturel qui joue sur les clichés usuels de l’occultisme dans la culture populaire anglo-saxonne (l'auteur du roman-source était un conservateur endurci, apparemment). Un brin vieillot, le film permet toutefois à Christopher Lee, dans un rare rôle héroïque, et Charles Gray, de démontrer l’ampleur de leur charisme à l’écran. Dans ce genre de films, c’est le « surjeu » calculé qui permet de s’élever au-delà des simples dispositifs qui se démodent vite. Une belle curiosité. (2/3/2021)

Tous à l’Ouest : Une aventure de Lucky Luke (Jean-Marie, version québécoise, 2007). La série des Nouvelles aventures de Lucky Luke, produite en 2001, par Olivier Jean-Marie était déjà excellente, le film qui suivit est encore meilleur. On utilise les bonnes vieilles méthodes de Goscinny : gags visuels, références populaires (ainsi que quelques astucieuses autoréférences), burlesque, clichés, et on le fait avec panache. La version québécoise, qui garde l'accent français et émule fort bien les voix classiques, avec Stéphane Rousseau en Lucky Luke et RBO sur plusieurs rôles, est excellente dans l’ensemble. Très gros coup de cœur, et ce serait bien que Jean-Marie revisite encore cet univers! (2/1/2021)

Shock Treatment (Sharman, 1981). Le film raconte la suite des aventures de Brad et Janet, héros du Rocky Horror Picture Show, en parodiant la télé et son rôle politique, à la Starmania, prédisant au passage la télé-réalité que nous subissons aujourd’hui. Rocky Horror, un petit coup de génie qu’on ne fait pas deux fois, a probablement créé des attentes qui ont fait échouées ce film à sa sortie. Pourtant, ce n’est pas si mauvais : la musique est en général inspirée, et cite avec brio le pop/soft-rock de Rocky Horror, le garage rock des années 50, le big band, et la pop qui apparait au tournant des années 80. Si on perd quelque peu l’intrigue au milieu du film, début et fin sont satisfaisants. Le film aurait bénéficié de quelques chansons de moins et peut-être d’une plus courte durée, et d’une mise en scène plus travaillé, bien que Jim Sharman s’en sorte mieux qu’avec Rocky Horror. Les acteurs sont inégaux : si Jessica Harper fait une excellente Janet, Cliff De Young lutte pour son rôle double, et Barry Humphries offre une performance inégale. Malgré tout amusant. (19/6/2021)

Sous le soleil de Satan (Pialat, 1987). Depardieu en grande forme, supporté plus qu’adéquatement par le réalisateur lui-même, et Sandrine Bonnaire. Si les deux amants de Mouchette ont du mal avec la langue de Bernanos, j’aurais préféré un Jean-Christophe Bouvet légèrement plus théâtral. Les images et le montage sont sans artifices et efficaces, et la musique, plutôt inspirée. Je me demande toutefois l’intention de Pialat. Que voit-il de pertinent dans le roman d’un chrétien traditionnaliste presque fanatique comme Bernanos, à présenter à la France des années 80? Outre le drame spirituel qu’un acteur comme Depardieu ne peut que rendre immensément touchant? Un très bon film, mais je crois que Wenders méritait beaucoup plus la Palme d’or!! (11/12/2021)