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Monday, January 8, 2024

Lectures terminées en 2023

L’Héritage (Victor Lévy-Beaulieu, 2012, Boréal). La grande saga familiale des années 80, racontée dans une version « définitive ». La force de Lévy-Beaulieu, c’est la construction de ses personnages, archétypale, certes, mais fluide et parvenant même à nous faire oublier le cliché du « patois-type » de chacun. Mais ces personnages! Vivants et viscéraux, violents dans leurs convictions et leur force de vivre. La prose de l’auteur est quelque peu chancelante et inégale, et s’il prend d’abord son temps à développer le récit, plus il avance, plus il semble enclin à se presser, comme s’il ne voulait pas atteindre la millième page, et franchement, c’est agaçant, car le plus souvent, il coupe dans ses délicieux dialogues. Les derniers chapitres racontent l’équivalent du premier tiers du bouquin. Chose étrange, en le comparant avec la série télévisée  que ce roman d’abord fut, il est étonnant de voir que certaines scènes fonctionnent mieux à la télé (malgré les évidents stigmates du genre) que dans le roman, et vice versa. (Terminé en 2023)

L’homme révolté (Albert Camus, 1951, folio essai). Les idées sur la nature de la révolte, sur sa pulsion positive et inclusive me semblent particulièrement justes. Camus déconstruit l’histoire de la révolte en montrant pourquoi ce qui se veut au départ positif et inclusif finit trop souvent par sombrer dans le nihilisme et le meurtre. Fort pertinent. (Terminé en 2023)


Critiques cinéphiliques 2023

Adaptation (Jonze, 2002). Auto-parodie, questionnement  existentiel traduit en images, antidote à un réel syndrome de la page blanche que Charlie Kaufman a réellement subit en tentant d’apapter le livre de la véritable Susan Orlean… L’univers kaufmanien se précise, et continue d’explorer d’un œil absurdiste les méandres de la subjectivité, qu’il associe presque toujours à un égocentrisme souvent brutal, et que ses personnages finissent par vivre à l’extrême. Dans Adaptation, Kaufman évite le tragique par son troisième acte qui satirise la recette du scénario hollywoodien – une recette qui dénature tout propos plus « auteuriste » et personnel. C’est un peu forcé et farfelu : si cela sert bien le propos et permet de sortir des angoisses du personnage principal, dans l’univers que créent Jonze et Kaufman, une telle manigance me semble au final bien artificiel. Le résultat est bien, mais le réalisateur et le scénariste ont depuis bien longtemps prouvés qu’ils sont capables de beaucoup mieux. (2/9/2023 – date incertaine)

Asteroid City (Anderson, 2023). Si la mise en contexte de la « pièce dans le film » est beaucoup trop maniérée et un peu trop froide, un peu de patience nous permet de nous rendre compte que le nouvel exercice stylistique de Wes Anderson se veut, en fait, une tragi-comédie familiale des plus chaleureuses, en plus d’une réflexion sur la création théâtrale, et par extension, cinématographique La relation entre les personnages de Jason Schwartzman et Scarlett Johansson (de grandes performances) s’avèrent au final le cœur du récit, et leur chimie rend leur histoire franchement touchante. Et le climax émotionnel, partagé par Schwartzman et Margot Robbie clôture avec puissance, malgré l’anti-climax bien avoué, ce qui, sous des allures de sci-fi très « camp », se révèle en fait une étrange romance comme seul Anderson en est capable. Le film dans le film dans le film peut paraître, à prime abord une gimmick de plus dans le répertoire du cinéaste, mais elle trouve tout son sens dans ce fameux climax. Si le visuel du désert hyper-stylisé parait trop synthétique (Anderson filme les intérieurs avec beaucoup plus d’efficacité), les fondements du film sont bien charnel. Il ne faut simplement pas s’attendre à une intrigue béton et un rythme intense. C’est de l’absurde, et au-delà, le cœur. (24/06/2023)

À bout de souffle (Godard, 1960). « No future ». 17 ans avant le célèbre slogan, le truand Michel Poiccard l’emblématise dans l’un des films phares de la Nouvelle Vague. Les velléités sans buts, les réflexions incomplètes, les incapacités de décisions morales, voilà ce que vivent les protagonistes d’À bout de souffle. Un film solide malgré une scène beaucoup trop longue où Michel tente de convaincre Patricia de coucher avec lui. Après une trahison elle aussi prise dans l’incertitude existentielle, le personnage brillamment interprété par Belmondo va confronter la mort avec audace et tout son style bogardien, dans une finale génialement ambigüe où l’incompréhension face à la vie même – et à la mort, dans le fond – triomphe. (14/01/2023)

Athena (Gravas, 2022). Une guerre civile en France suite à l’exacerbation des tensions sociales en banlieue.  Une situation hypothétique très à-propos dont les causes, révélées dans la finale, ne sont pas dû au clash culturel que la droite réactionnaire dénonce et craint. Un sujet qu’il faut confronter, en France, et en Occident. Mais l’exécution de Gavras est bâclée sur presque toute la ligne. Techniquement, le film est impeccable : la direction des foules dans ces plans-séquence complexes tournés au drone et avec quelques probables trucages numériques, la direction d’acteur, intense et juste, la photographie, aussi brutale que les combats représentés, etc. Mais les choix de réalisation démontrent un manque crucial de maturité. Au lieu de présenter le contexte, de développer le drame dans toute la complexité d’une révolte civil, Gavas investit toutes ses ressources à ses plans compliqués bourrés des clichés des vidéos de MTV en vogue voilà 30 ans, accompagnés d’une musique absolument abjecte qui tente d’élever le pathos dans la stratosphère. Le résultat, au lieu de nous rapprocher de ces personnages que l’on côtoie de très proche, que l’on suit dans leurs interminables déplacements à travers le terrain, nous éloigne malgré tout le bon vouloir des excellents acteurs. Un bien mauvais film. (21/1/2023)

Bienvenue chez les Ch’tis (Boon, 2008). Si la prémisse est périlleuse –  rire des préjugés associés à une région –, Boon parvient à tirer son épingle du jeu en passant plus de temps à développer les deux histoires d’amour en parallèle, et à développer les relations humaines, avec les gags régionaux qui étoffent au lieu d’être centraux. Ça en fait un film très sympathique, un feel good movie particulièrement réussi. (7/1/2023)

Crumb (Zwigoff, 1995). Un documentaire sur le bédéiste légendaire R. Crumb, un homme étrange, fin observateur des tares de la société américaine, qu’il critique et attaque par un art souvent trash et sans retenue. Le personnage en lui-même est d’emblée si bizarre, mais ce qui étonne encore plus, c’est que les autres membres de sa famille (ceux que l’on rencontre dans le film, du moins) le sont encore plus! C’est une forme de mal-être grave que l’on nous montre, et c’est à se demander si les rires nerveux de Crumb sont une façade, ou un moyen de défense contre celui-ci. En termes de montage, ce documentaire est une classe de maître : on va et vient de manières hypercohérentes entre divers segments de quelques entrevues et événements, en suivant des motifs thématiques sans jamais casser le rythme. Et on reconnait Zwigoff, dans la facture du film, et des figures qui reviendront souvent dans ses œuvres de fiction. Ce film est aussi documentaire qu’expression personnelle. (20/5/2023)

End of Eternity (Ermash, 1987). Film en deux épisodes qui adapte le roman du même nom d’Isaac Asimov. Je n’ai pas lu le roman (encore), mais en connait les grandes lignes : l’adaptation semble bonne, bien que la finale change complètement de sens. Malgré tout le film a tout d’une production de science-fiction à petit budget du genre TV Movie, comme celles que produisaient la BBC et certaines boîtes de productions américaine à la même époque, par exemple. Le côté kitsch est sympathique, et la plupart des décors et des effets sont plutôt réussies. L’intrigue est entièrement charriée par les dialogues, jamais supportée par le montage qui faciliterait notre investissement émotionnel, ce qui peut rendre le visionnement ardu. Au lieu de cela, le réalisateur semble beaucoup trop occupé à imiter Andrei Tarkovski, ce qu’il fait fort mal, et trahit bien tristement une absence de réel talent. Un film mineur qui est malgré tout bien intéressant. (18/11/2023)

Gemini (Tsukamoto, 1999). Edogawa Rampo rencontre Shinya Tsukamoto dans un film sur la brutalité et la monstruosité qui habitent les deux côtés des inégalités de classe, dans le Meiji tardif. Le monstre grotesque de Rampo fusionne à perfection avec le monstre social de Tsukamoto, et l’aura d’unheimliche rappelle parfaitement le mystère propre au romancier, jusqu’à donner à une fin plutôt prévisible une ambivalence inquiétante et, en soi, elle-même monstrueuse. (20/5/2023)

Knit’s Island (Barbier, Causse, L’Helgouac’h, 2023). L’exercice est admirable : trois documentaristes se créer trois personnages documentaristes dans le jeu DayZ afin de recueillir les impressions et commentaires de joueurs rencontrés au gré du hasard. Le produit fini représente des heures (des années, en fait) de recherche dans l’univers virtuel, tout en subissant les aléas d’un jeu dont le but est de survivre à l’environnement, aux besoins vitaux de son personnage, et aux autres joueurs. Voilà la prémisse. Mais ce qui brille dans ce film, ce sont les joueurs rencontrés, en soit de véritables personnages, dont l’excentricité provient justement de l’anonymat que leur procure leur avatar virtuel. Ces personnages sont bizarres, sympathiques voire touchants, intéressants, et le parcours des documentaristes, tel que façonné par le montage, prends des allures d’odyssée psycho-sociale qui amène à reconsidérer son rapport au réel. Pas le leur, bien que ce soit abordé à plusieurs reprise dans le film, mais le nôtre, en tant que spectateur, ne serait-ce qu’en se questionnant sur la valeur du temps véritable utilisé à « exister » virtuellement en ligne. Mais ce film ne sombre jamais dans la lourdeur. On rit souvent, on peut se choquer, mais on ne perd jamais l’intérêt. Superbe. (21/11/2023)

La dolce vita (Fellini, 1960). Si j’arrive difficilement à éprouver l’attachement nécessaire pour suivre l’aventure du protagoniste de , je suis plus à même de le faire dans La dolce vita, peut-être grâce à la critique sociale virulente qu’on nous y présente. On y montre des personnages brisés, déchirés par leurs désirs et l’attrait de l’opulence abject et d’une vie de plaisirs mortifères qui, au final, ne répond jamais au besoin le plus basal de tous : la connexion humaine. Peut-être est-ce la raison pourquoi le personnage le plus sympathique du film, Paola (qui n’a pas encore perdu l’innocence nécessaire à la relation humaine), devient étrangement menaçante lorsqu’elle finit par nous regarder, nous spectateur, en guise de finale. (17/11/2023)

Last Night in Soho (Wright, 2021). Ne jamais douter d’Egard Wright : quand il décide de se lancer dans l’horreur psychologique, le produit finit est un hyper-giallo aux références multiples, conscientes ou non. On saute de la comédie musicale à une histoire de double, une descente aux enfers, une enquête criminelle, et une finale digne des meilleures films de Tim Burton, tout ça dans l’esprit des maîtres du giallo comme Argento, Bava, et autres Fulci. Edgar Wright est un grand réalisateur, il parvient à obtenir de puissantes performances de ses actrices et acteurs, qu’il filme avec un doigté, une intuition et un contrôle frôlant la perfection. Je n’ai trouvée qu’un seul manquement à son expertise, au cours de la finale, où une péripétie sombre dans l’artificialité, mais sinon, un excellent accomplissement. (6/5/2023)

Le dîner de cons (Veber, 1998). Digne de sa réputation, ce film rassemble des performances précises et des scènes habilement construites, typiques du cinéaste, filmées somptueusement pour un effet particulièrement efficace. Si les dispositifs comiques transparaissent parfois, le tout ne devient jamais artificiel par une maîtrise du rythme fort habile. Hilarant. (7/1/2023)

Le Garçon et le Héron (Miyazaki, 2023). Je suis rassuré : octogénaire, Miyazaki n’a rien perdu de son talent de raconteur, de sa créativité graphique, et de son sens du rythme. Il nous offre un grand film, aux multiples niveaux de lecture sans jamais pour autant s’alourdir sans raison. Quel merveilleux film! On nous raconte le relativisme du temps : les aînées d’une époque sont les combattantes d’une autre plus ancienne, les traumatismes du passé vivent en perpétuité par la mémoire, parfois sur plus d’une génération ; on nous raconte les difficultés de l’existence, où il n’y a pas de justice simpliste, pas d’harmonie fantasque, qu’il faut accepter ce qui peut paraître injuste, non pas sans révolte et ténacité, avec une persévérance entêtée ; mais plus que tout, Miyazaki parvient à illustrer l’obsession bien humaine de vouloir réordonner les choses, parfois à son propre détriment. Le monde qu’il nous raconte est si vraisemblable : pas tout noir, mais pas tout rose non plus, et c’est là la puissance de Miyazaki, et la raison pourquoi ses films, et ceux de son vieux complice Takahata, auront toujours une longueur d’avance sur les films d’animations hollywoodien, Pixar et autres Disney. Chez Ghibli, la véritable nature de l’existence, dans toute son ambivalence, n’est pas à craindre, ou à anesthésier, mais bien à affronter, la tête haute. Il y a beaucoup plus dans ce film, et je serai heureux de le revoir, encore et encore. Génial. (23/12/2023)

Le Père Noël est une ordure (Poiré, 1982). Nous avons droit ici à un humour théâtral, au sens où tout part du texte, à partir duquel les performances se construisent et les situations s'imbriquent et montent en intensité, et en hilarité. Si des gags comme le voisin étranger aux goûts dégueulasses ont mal vieillis, l’ensemble est un excellent exemple d’un type de comédie très difficile à faire, basé sur un rythme d’enchaînement surexcité sans jamais s’essouffler ou perdre le fil. Exhilarant. (7/1/2023)

Le Professionnel (Lautner, 1981). Ce film semble préfigurer tous les excès de l’Hollywood reaganite : machisme, escapisme, vengeance, héros indestructible, dualité manichéenne, etc. Mais si l’Hollywood des 80s est plus porté vers la politique des mœurs, Le Professionnel est aussi influencé par l’univers de Leone (la scène du duel est épique!), une misogynie moins idéologique que caricaturale (incluant une flic tortionnaire lesbienne…!), et un côté tragique très européen. Et malgré tout, ce film est amusant : la réalisation nous permet d’avaler ses invraisemblances et fantasmes juvéniles sans trop de difficulté. Le sujet aurait pu donner une fresque subversive à la De Palma. On a plutôt opté pour un film d’action subtilement plus sombre qu’il n’y paraît. (21/1/2023)

Les Olympiades (Audiard, 2021). Cas de figure sur l’état de l’amour et de la sexualité dans le monde d’aujourd’hui. Personnages engageants, spécifiquement dans leurs luttes relationnelles incluant égocentrisme, engagement amoureux, abus et quête de guérison, l’indifférence cruelle et la difficulté à donner et/ou trouver l’empathie. Sans être transcendant, le pari de départ est réussi. (15/07/2023)

Licorice Pizza (Anderson, 2021). Un film sur le décalage dans une relation amoureuse, traité non pas comme une romance, mais comme une relation humaine complexe. Ce dont on vient à attendre de Paul Thomas Anderson, tout comme ces personnages si singuliers, aux prises avec leurs propres désirs conflictuels et des situations souvent – et parfois extrêmement – absurdes. Ici, le cinéaste part du principe du drame relationnel pour montrer à quel point le concept de « vie adulte » est flou et relatif. Et en frôlant les inconforts propres à la condition humaine, on ne sombre jamais dans le tragique. Ce film est un feel-good movie au même titre que Punch Drunk Love l’était, si on peut ainsi le concevoir. J’ai été charmé. (10/2023)

Moonage Daydream (Morgen, 2022). Un documentaire impressionniste sur David Bowie, qui incarne en soi les multiples facettes de l’artiste. Bowie est toujours intéressant en entrevue, surtout à partir de son exil à Berlin, mais Morgen parvient à faire de ces commentaires une œuvre audio-visuelle forte et digne de l’œuvre de son sujet. Excellent. (14/01/2023)

Mr. Freedom (Klein, 1968). Film narratif pamphlétaire dont la piètre exécution rend le visionnement laborieux, qu’on soit d’accord ou non avec les points de vue déclinés. Si la valeur discursive, et la présence des nombreuses personnalités qui font partie de la distribution, sont les plus forts atouts de ce film, il reste qu’aujourd’hui, il ne s’agit que d’une curiosité cinéphilique pour les amateurs « hardcore ». (4/11/2023)

Niagara (Lambert, 2022). J’ai toujours la sombre impression que l’industrie cinématographique et télévisuelle québécoise se complait souvent dans les mêmes conventions de jeu et de réalisation et prend rarement des risques, aussi petits soient-ils. Les drames contemplatifs du temps où le cinéma québécois en était un d’auteurs, aussi lourds pouvaient-ils paraître, me semblent toujours plus originaux et intéressants. Et puis il y a Niagara qui me rassure qu’il y a peut-être matière à espérer. Ici, chaque personnage est singulier, soit par étrangeté, soit par la fascination de son caractère, soit les deux! Et le film aborde l’apathie du monde contemporain sans jamais sombrer dans le nihilisme ou le nombrilisme, et sans jamais manquer d’humour. La musique de Laurence Nerbonne ne ressasse pas les habituelles thématiques mornes de l’industrie. Et bien que film soit bâtit comme un enchaînement de sketches dont certains fonctionnent mieux que d’autres, on a au moins l’impression, au final, d’un effet de cohérence franchement satisfaisant. On a l’impression que Guillaume Lambert a travaillé fort sur chaque scène et chaque péripétie, chaque personnage, jusqu’à trouver le moyen d’être à chaque fois un brin original. Bref, un très bon film. François Pérusse et Véronic DiCaire – gros coups de cœur. (8/2023)

Oppenheimer (Nolan, 2023). On ne peut attendre moins, en matière de prouesses techniques, de la part de Nolan. Comme la plus belle pièce d’horlogerie, ce film démontre la plus imposante maîtrise de la technique cinématographique… au détriment total de la sensibilité. Car ce thriller très (trop?) Nolanesque est tellement artificiel… l’intrigue, qui enchaîne des brides de différentes scènes tout en gardant la même idée discursive, le rythme effarant qui jamais ne s’arrête, le montage en tapisserie qui manie trois temporalités, tous ces dispositifs créent tellement de distance vis-à-vis des acteurs, qu’on perd, au final, l’attachement et le ressenti qui auraient dus être au rendez-vous. Et ce n’est certainement pas la faute de la distribution – Murphy et Downey Jr. devraient d’ailleurs faire une place au-dessus du foyer pour leur futur Oscar –, mais de tout le reste : on noie les personnages dans tellement de couches d’artifices qu’au final, il ne reste pas grand-chose. Ce genre d’exercice a été très utile à l’excellent ‘Tenet’, mais passe complètement à côté de la carte avec ‘Oppenheimer’. (2/12/2023)

Pinocchio (Sharpsteen, Luske, 1940). Le Pinocchio de Disney est l’un de ces classiques des classiques. Et commencer son film par la sublime When You Wish Upon a Star soulève les attentes! D’un point de vu technique, ce film frôle la perfection, que l’on peut encore clairement discerner 80 ans plus tard : l’animation est superbe, les décors sont littéralement magiques – l’atelier de Geppetto est franchement impressionnante –, et comment ne pas tomber amoureux de la Fée bleue, aux mouvements rotoscopiques à l’harmonie parfaite (la référence étant Marge Champion, qui avait également servie de modèle pour Blanche-Neige). Si certains thèmes didactiques sont habilement menée (Jiminy Cricket comme conscience, par exemple), d’autres sont plus élitistes, comme le traitement plutôt négatif de la vie ouvrière, que l’on associe à la paresse et à la poursuite des « plaisirs » plutôt qu’à un phénomène d’inégalités sociales. Malgré tout, le film ne sombre pas dans une propagande idéologique active, agissant plutôt comme une fable de moralité destinée à la classe moyenne américaine de son époque. Ce qui empêche ce film d’accéder à la grandeur de Snow-White ou Bambi, c’est son rythme tortueux et un certain manque de cohésion narrative. Film moyen à la technique parfaite et à certains moments de génie. (4/11/2023)

Portrait de la jeune fille en feu (Sciamma, 2019). Quel grand film! Quel œuvre magnifique! Du scénario, d’une précision chirurgicale, à la photographie sublime, le jeu puissant des interprètes, et l’usage génial de la musique, ce film est un monument. D’abord au regard féminin, puis à l’élégie de la mémoire, en plus d’être une classe de maître en techniques cinématographiques. Ici, la fusion des techniques ne sert qu’une chose : la production d’affects sincères, et si l’on doit réfléchir ou remettre en cause notre conception du monde par l’intellect et la réflexion, ce n’est qu’en passant par le ressenti et ça, c’est la chose la plus difficile à faire en cinéma. Mais Céline Sciamma réussit la tâche avec brio, et se hisse par le fait même très haut dans la stratosphère du panthéon. Je devrai revoir ce film, autant par plaisir que pour en considérer la véritable grandeur car pour le moment, je ne peux qu’en faire l’éloge. Et je le reverrai ce film. Souvent. (12/8/2023)

Profondo rosso (Argento, 1975). Dans ce film, Argento démontre à quel point il est un grand formaliste. Sa réalisation est majestueuse, sa caméra bouge avec grâce, juste au bon moment, ses zooms sont choisis avec soin, sans le maniérisme daté associé souvent à ce dispositif. Si Argento est plus intéressé à tenter de manipuler les attentes du spectateur au dépit de l’intrigue, le film me semble malgré tout l’un des plus réussi que j’ai vu dans sa filmographie. (11/2/2023)

Repulsion (Polanski, 1965). Étude extrêmement précise d’une descente dans la folie, démontrant une bonne compréhension du sujet. Atmosphères efficaces, images superbes, Catherine Deneuve particulièrement en forme. Le produit final est fort réussi et, sur bien des aspects, plutôt progressiste, ce qui est surprenant et ironique, connaissant les méprisables habitudes de vie du cinéaste. (1/4/2023)

RRR (Rajamouli, 2022). Je ne connais pas assez l’histoire de l’Inde, ni son cinéma pour me faire une idée de l’importance de ce blockbuster dans la culture de l’état. Cependant, d’emblée, il s’agit d’un long film de surhommes s’opposant, chacun à leur façon, au colonialisme britannique, ponctué de numéro impressionnant de chant et de danse. Divers commentaires sur la fraternité, l'union de forces culturelles diverses, et la nature s'étoffent au passage. Malgré sa durée, le film ne comprend pas de longueur, mais son intensité peut rendre le visionnement éprouvant. Malgré tout, les excès du cinéma indien, menés magistralement par le réalisateur, offre un changement bienvenu à l’opulence uniformisatrice d’Hollywood. (03/06/2023)

Shin Kamen Rider (Anno, 2023). Après un génial Shin Godzilla et un très sympathique Shin Ultraman, Anno est de retour à l’écriture et la réalisation d’une relecture d’un héro classique ciné-télé avec Shin Kamen Rider. Et si le style Anno est bien présent la plupart du temps, ici on souffre d’un sérieux manque d’inspiration. Bien sûr les hommages à la série de 1971 sont nombreux et souvent visuellement réussi… sauf en ce qui concerne les méchants, qui  sont systématiquement ennuyants, et les confrontations sont si peu dynamiques que même lorsque la « touche Anno » se manifeste, les longueurs nous ont déjà complètement refroidies. Malgré une bonne performance de l’interprète de l’antagoniste principal, et la chimie amusante entre les deux Kamen Rider, c’est trop peu trop tard. L’intention d’Anno était probablement de faire différent et déjouer les attentes, et il le fait souvent bien, mais dans ce cas, c’est raté. Franchement décevant. (8/2023)

Shin Ultraman (Higuchi, 2023). Hideaki Anno était parvenu à réinventer Godzilla de manière aussi génial que l’original, et si sa version d’Ultraman n’est pas aussi innovatrice, elle demeure quand même une réussite. Réalisé par Shinji Higuchi, on sent omniprésente la facture du maître à toutes les facettes de la production. Si la musique de Shirô Sagisu aide énormément à ce faire, ce dernier livre l’une des meilleures trame sonore de sa carrière, alternant entre ses fanfares camp et la musique jazz-psychédélique des téléséries des années 60. Anno ne quitte pas l’humour bureaucratique qui a fait le succès de son Godzilla, mais y ajoute une plus-value dans sa diplomatie galactique qui, bien que prévisible un brin – et de manière toute à fait charmante! – ne devient qu’un prétexte pour œuvrer dans ses multiples relectures très acutelles des thèmes chers à la culture japonaise : l’honneur, la nature, le devoir, le conformisme, le courage, l’abnégation, tout ça en présentant de superbes designs et de l’action enlevante. Si le réalisateur est un peu effacé, j’espère qu’il retiendra ses leçons! (27/5/2023)

Sisu (Helander, 2022). Un film d’action mettant en scène un « one-man army » qui décime une unité nazie pendant l’occupation de la Finlande. Le film ne cache aucunement l’influence du spaghetti western, dans sa musique ou  même les caractères de ses intertitres, et l’esprit de Corbucci imprègne chaque scène. Les méchants se font dynamiter, poignarder, démembrer, canarder, dans un esprit plus ludique qu’horrifiant, très « cartoon ». Le héros encaisse sans broncher de terribles tourments, survit à des situations impossibles, avant bien punir l’envahisseur, tout en permettant à un groupe de jeunes prisonnières de se venger de leur tortionnaires. Ludisme, « gore », et action, sur un mode de western italien, une formule qui fonctionne parfaitement dans ce cas-ci! (4/5/2023)

Spider-Man: Across the Spider-Verse (Dos Santos, Powers, Thompson, 2023). Si l’original Into the Spider-Verse, tout en étant d’une originalité vraiment défaillante, parvenait somme toute à nous faire oublier son attirail de clichés et de formules scénaristiques, ce n’est pas le cas de la suite. Cette fois, je n’ai vu qu’une succession de conventions bien plates de drame familiale à la sauce absurdement convenue, des pires clichés corporatifs sur la vie supposée de l’adolescent américain moyen, et de péripéties plus que galvaudées tout droit sorti du monomythe de Joseph Campbell. Le tout ponctué de séquences d’actions au montage stroboscopique ultra-rapide et de longueurs insupportables. Ceci dit, ce film comporte le même genre de touches sympathiques au niveau des designs et du  visuel, de l’animation et de la conception des personnages – coup de cœur : le méchant « Spot » est très attachant et intéressant. Mais ce dont ce film abonde, plus que de l’action, c’est de sa propre mièvrerie. (18/11/2023)

Tetsuo : The Iron Man (Tsukamoto, 1989). Un thriller cyberpunk à la frontière entre cinéma expérimental et cinéma narratif – catégorisation floue, car un cinéma expérimental peut tout à fait expérimenter avec une narration. Un film d’attraction, peut-être, mais au propos fort intéressant, sautant d’une dialectique cyborgienne à l’identité de genre de manière hyper-syncopée, accompagnée d’un humour ubuesque souvent très noir, voir tragique. Il y a peut-être une ou deux longueurs vers la fin, mais encore-là, on pourrait penser qu’il s’agit d’un dispositif « expérimental » cherchant à tester la patience du spectateur. (25/3/2023)

The Freshman (Newmeyer, Taylor, 1925). Une comédie universitaire avec Harold Lloyd, très populaire à son époque. Ce genre de film m’intéresse peu, et même les facéties du comédien ne m’ont pas impressionné. Le charisme de Jobyna Ralston, malgré son rôle très (trop?) typé, me semble le point fort du film. (11/2/2023)

The Great Silence (Corbucci, 1968). Un genre d’eulogie de l’esprit même du western, mais selon l’esthétique du spaghetti-western. Le message est ainsi plus violent, plus brutal – subversif, sur plusieurs points –, et le nihilisme du mythe fondateur américain est démontré sans détour. Très bon. (11/2/2023)

The Green Knight (Lowery, 2021). Une relecture du fameux conte médiéval, sur un mode plus sérieux, plus dramatique et sombre. Ce genre d’exercice est la tendance du cinéma populaire depuis au moins les vingt dernières années, mais Lowery, dans son entreprise, triomphe. Le scénario est d’une justesse prodigieuse, la recherche se sent dans la richesse des situations et des dialogues, et si le style visuel manque de maturité à certain moment, l’ensemble est solide et sincère. Un film puissant. (15/07/2023)

The Innocents (Clayton, 1961). Drame d’horreur psychologique, adaptation de The Turn of the Screw, où l’ambiguïté génère l’effroi – une thématique devenue plutôt classique dans laquelle on ne parvient à distinguer la présence du surnaturel, où simplement d’une folie paranoïaque. Le dispositif du narrateur non fiable est reproduit adroitement par les cadrages inquiétants et le jeu des acteurs. Deborah Kerr tient le film sur ses épaules, mais la performance des enfants, particulièrement Martin Stephens, est solide. La réalisation est maîtrisée et efficace, sans être révolutionnaire. Très bon. (06/2023)

The Killer (Fincher, 2023). Fincher se penche sur la figure (contre-culturellement) classique de l’assassin nihiliste, cette fois, avec toute la précision habituelle de son arsenal technique, qui assure, comme d’habitude. Le portrait est narrativement froid – le personnage est crapuleux – mais attrayant – son œil, son traitement de la lumière, son sens du rythme, ce qui en fait un bon film de genre. Le portrait du personnage est savamment mené selon les raccourcis tordus de la logique d’un personnage dont les plus cyniques pourraient s’énamourer sans doute facilement. La scène de combat à main nu contre « la Brute » (Sala Baker) est l’une des meilleures que j’aie vues depuis longtemps. Un bon film, mais surtout, efficace. (11/11/2023)

The Last Duel (Scott, 2021). Je n’ai intérêt que dans les plus anciens films de Ridley Scott. Le début de Gladiator m’a complètement brûlé. J’ai cependant décidé de laisser une chance à ce film, peut-être dans le but de le détester. Mais Damon et Affleck montrent une fois de plus qu’ils sont compétents à l’écriture (avec leur co-scénariste Nicole Holofcener pour la perspective féminine), et Scott réussit à le mettre en image de manière compétente et intéressante. Malgré tout, je ne peux m’empêcher l’impression que le sujet, à l’ère post-metoo, représente « trop peux trop tard ». J’aurais été beaucoup plus à l’aise avec une femme à la réalisation, et il est problématique que le financement de cette superproduction ait probablement été possible surtout à cause de la réputation du réalisateur. Un très bon film tout de même. (21/10/2023)

The Limey (Soderbergh, 1999). Après un seul visionnement, ce film se hisse parmi mes favoris. Quelle leçon de cinéma. La réalisation et le montage sont parfaits, et la distribution offre des performances rien de moins que géniales. Terrence Stamp campe à la perfection ce bandit à la recherche du meurtrier de sa fille, et la conjonction d’amour, d’honneur et de cruauté en font l’un des plus beaux personnages de la filmographie du réalisateur. Une histoire simple qui se révèle astucieusement au spectateur, et qui confirme Soderbergh comme le plus intelligent réalisateur grand public d’Hollywood. (03/06/2023)

The Night of the Hunter (Laughton, 1955). Que peut-on ajouter à tout ce qui a été dit de ce remarquable film? La mise en scène opératique – car ce film a davantage à voir avec l’opéra que le théâtre – et le style néo-expressionniste élève un sujet plutôt anodin au rang d’épopée maximaliste. Car si le film traite d’abord des deux pôles de la foi, la destructrice d’un côté, la salvatrice de l’autre, l’ensemble est si organique, si prégnante de cohésion, qu’on ne peut que se laisser porter par l’œuvre  presque contre son gré. C’est un étrange équilibre que Laughton atteint, entre le jeu caricatural de certains personnages qui contraste avec le réalisme stylisé de Robert Mitchum ayant permis à son personnage de devenir l’un des plus grands antagonistes du cinéma mondial. C’est ce même équilibre qui mène Lilian Gish à la sainteté, Shelley Winters à la dévotion aveugle – sans pourtant en être totalement inconsciente – et  Billy Chapin à l’évocation d’un enfant résolument moderne. L’image cinématographique cesse de n’être qu’un support au narratif pour prendre pleinement les moyens des atmosphères créés avec les ritournelles qui ponctuent le récit. Ce film est un chef-d’œuvre. (20/5/2023)

The Northman (Eggers, 2022). Adaptation très libre de la légende d’Amleth selon Saxo Grammaticus (qu’adaptera plus tard Shakespeare), doublé d’une bonne dose de machisme à la Conan et d’une lecture néo-païenne des croyances préchrétienne. Fidèle à lui-même, Eggers montre une recherche exemplaire, une mise en scène nuancée, et une réalisation experte pour « moderniser » la légende avec la grittiness propre au goût du jour. Dans les mains expertes du cinéaste, ça fonctionne plutôt bien, quoiqu’une certaine prudence face aux choix de représentation des peuples anciens soit de mise. (8/4/2023)

The Untouchable (De Palma, 1987). De Palma m’est toujours apparu comme le moins intéressants des grands auteurs du Nouvel Hollywood : son sens du spectacle hyperbolique tourne souvent au sensationnalisme, et sa volonté de tout subvertir finit par me tomber sur les nerfs. « The Untouchable » est plus léger. Si le film abandonne la subversion, c’est au profit de sa propension au spectaculaire : aussi, il se permet une scène de western épique en plein cœur du film, et son fameux hommage tonitruant à Eisenstein (et Hitchcock, évidemment), vers la fin, sans compter la brutalité des antagonistes, sanglante à souhaite. Mais dans l’ensemble, ça fonctionne : il transforme Eliot Ness et sa bande en « supercops » (on donne une carabine au comptable!!) qui pourfendent les sbires de Capone, en prenant d’énormes libertés historiques au nom… du spectacle! Ajoutons une trame sonore signée Morricone, qui oscille entre la fanfare coplandesque pour illustrer la vertu des héros, et des rythmes plus contemporains pour souligner l’action, le résultat est pas mal. De Palma grand public. (25/12/2023)

The Velvet Underground (Haynes, 2021). Un documentaire sur le groupe légendaire. Présentation extrêmement intéressante de la scène artistique new-yorkaise des années 60s. Suit un modèle de reportage plutôt classique avec quelques sympathiques variations. (14/01/2023)