Je voulais
voir la maison où j’avais passé une bonne partie de mon enfance, sur la 8ième
avenue, à Roxboro. Parfois, la maladie de nos proches nous amène à revisiter
nos souvenirs, par introspection ou en se rendant sur place. Ce jour d’hiver,
j’avais fait le long voyage sur Gouin Ouest jusqu’à l’avenue, incertain de la
saison au fond de mon cœur. L’asphalte était glissante, couverte d’une sloche
blanchâtre, et je devais faire attention à chaque pas pour ne pas tomber. Les
cours des maisons de banlieue avaient revêtu leur manteau de neige dure, signe
d’une température hivernale fluctuante. Enfant, cela ne m’aurait pas empêché de
jouer et vivre des aventures de space
opera devant la maison négligé mais combien confortable de mon enfance. Avant
d’entreprendre le petit voyage dans le West Island, j’avais observé la rue sur Google Maps, et j’avais remarqué qu’on
avait repeint la balustrade d’un beige foncé, mais pas le reste : la finition
en lattes blanches semblait avoir été conservée.
Comme il était coutume en banlieue, la rue n’était pas flanquée de trottoirs, et j’eus la surprise de trouver une femme, probablement de mon âge, au teint pâle, les cheveux long et noirs, emmitouflé dans un foulard blanc sortant de son manteau gris qui observait attentivement, la maison en face de celle de mon enfance. Je savais que la maison appartenait aux Martins – à prononcer à l’anglaise – et qu’ils étaient une famille nombreuse. À mon approche, la femme m’offrit un sourire poli auquel je répondis par la pareille. Je contemplai un moment la maison de mon passé, mais la présence inconnue me distrayait dans ma contemplation. Elle fit un mouvement : elle baissa la tête et rit en silence.
« Are you spying on me? » me demanda-t-elle d’une voix franche mais visiblement amusée.
« No, I’m not, » dis-je, quelque peu gêné de la situation. Je pointai la maison blanche. « I used to live here… » La noiraude remarqua mon accent et se mit à parler en français avec le plus charmant des accents :
« J’habitais juste en face! » me dit-elle en montrant la maison des Martins (anciennement, du moins), qui reposait dans l’ombre de quelques arbres âgés. Son regard s’illumina soudain. Elle me dit :
« Tu étais le garçon qui habitait là, y’a environ trente ans? »
« Y’a même plus longtemps que ça. Toi c’est Karen? »
« Oui! Tu me connais! Mais moi, je sais pas ton nom... » Je lui dit. Elle le répéta, et le prononça avec ces inflexions particulières aux anglophones qui abordaient le français. J’ajoutai un mot à propos du plus vieux souvenir que j’avais d’elle :
« Ma tante avait essayé de nous présenter quand on avait, genre, trois ans, mais je me suis mis à pleurer, tu t’es mises à pleurer, et finalement, nos parents n’ont jamais réessayé! » Je lui cachai que parfois, je l’observais jouer dehors, enfant, et que ce n’était que le manque d’audace qui m’avait laissé moisir de mon côté. Elle se tourna vers moi.
« Elle habite encore là, ta tante? »
« Non, elle et mon oncle sont partis d’ici il y a longtemps. Et toi? »
« Mes parents ont pris leur retraite et sont déménagés loin de la ville, il y a quelques années. »
Dans le silence qui suivit, Karen reprit la contemplation de son ancien chez-soi, un sourire lointain sur les lèvres. Je l’observai un bon moment sans rien dire, puis, moi aussi, me mit à étudier cette maison qui avait tant fasciné ma jeunesse. Car tout jeune, je respectais, pour une raison que j’ignore encore, les gens qui parlaient anglais. À l’école primaire, et même au secondaire, je conférais aux élèves bilingues un respect particulier, sans trop savoir pourquoi. Lorsque je me décidai à apprendre le langage une fois pour toute, au début du secondaire, j’en vins à me rendre compte que l’anglais s’avérait en parfaite synchronie avec les plus viscérales de mes émotions. La langue anglaise me permit d’écrire, un projet que j’avais d’abord abandonné, incapable d’articuler le temps et les affects avec le français. Mais c’est grâce à mon premier professeur d’anglais au CÉGEP, M. Adams, que je me découvris un véritable amour pour cette langue. Il me fallut plus de quinze ans, ensuite, pour apprivoiser le français jusqu’au point de m’y sentir suffisamment à l’aise pour m’y exprimer adéquatement.
Je pensais à ces choses lorsqu’une fine neige me ramena au présent. Oh! Ce n’était rien de particulièrement jolie, une simple neige fondante qui allait sans doute geler dans la nuit et rendre la chaussée encore plus périlleuse. Je contemplais le sol lorsque je sentis les yeux fascinants de Karen qui m’étudiaient. Je ris.
«Je me demandais, » expliquai-je, « par quel manœuvre le hasard nous avait amené ici, aujourd’hui, et j’en cherchais naïvement une raison cosmique. »
« C’est drôle, » me dit-elle, « j’ignore si je crois au hasard… »
« J’y crois, » avouai-je. « Je crois que le destin est une manière d’historiciser le passé, afin de trouver un sens à ce qui nous est arrivé, après coup. »
« Historiciser? C’est un beau mot! J’ignorais qu’il y avait un équivalent en français pour ‘historicize’. » Je souris candidement. Elle leva les yeux au ciel, un doigt sur ses lèvres dans une pose de réflexion.
« Mais voyons, s’il n’y a pas de destiné, qu’est-ce qu’il y a? » demanda-t-elle. « Dans le monde spirituel, j’entends. »
« Hmm, si vous entendez par ‘spirituel’ le monde des idées, je crois que ce qu’on y trouve, ce sont des potentialités, la plupart non-actualisées. »
« Le monde est donc virtuel. »
« Comme l’a chanté Serge Fiori, » rigolai-je.
« Qui? »
« Un chanteur québ… francophone. »
« La dualité canadienne! »
« Si on veut. »
« Mais je suis curieuse de vous entendre à propos de cet univers potentiel… Il s’agit d’une attitude presque Leibnizienne… »
« Je crois que l’univers de l’être humain est avant tout bâti par les possibles qu’ils s’imaginent. »
« Rien ou peu est actualisé? »
« Peu, en effet, » conclus-je. « Ça devient l’histoire. » Karen acquiesça doucement, satisfaite mais dubitative. J’aurais aimé lui demander de m’expliquer l’entièreté de sa conception de l’existence, dans tous les détails. Je me serais abreuvé de ses souvenirs, de ses histoires d’amour, de ses coutumes familiales, le nécessaire afin de garder contact. Il ne s’agissait absolument pas un coup de foudre, ni même d’un amour chaleureux, mais plutôt d’une recherche de solidarité, de validation du moi, une protection contre l’infâme solitude qui rongeait mon existence, particulièrement depuis que la maladie était entrée dans ma vie. Ce n’était pas l’amour autant que l’aspect social de l’amour, la complémentarité, même fictive ou approximative. Mais tous ces espoirs, ces potentialités, s’envolèrent en fumé après quelques secondes, lorsque le regard initialement enthousiaste de ma compagne alla rencontrer sa montre. Le glas avait sonné, l’heure était aux adieux. Portai-je ostensiblement l’oriflamme de mon désir de proximité? J’essayais constamment de cacher ma recherche de compagnonnage, de peur d’effrayer de potentiels copines, qui pourraient confondre mes avances pour une entreprise amoureuse.
Les mots qu’elle prononça ensuite me heurtèrent par leur manque flagrant d’imagination :
« Je dois rentrer, » dit-elle, tapotant sa montre. « Il est tard. » C’était le plus âpre des clichés.
« Je devrais faire de même, » dis-je, feignant la connivence. J’hésitai, incertain de la bonne marche à suivre dans ce genre de situation. « Je vais attendre le bus sur Gouin, » ajoutai-je. Elle pointa dans la direction opposée.
« Je dois rencontrer une veille amie, un peu plus haut. » Une pointe d’inconfort céda à un sourire plutôt honnête. Elle tendit la main.
« Je suis heureuse de t’avoir vu aujourd’hui, » dit-elle. « De t’avoir ‘revu’ en fait. » Je lui serrai la main. Sa pogne était délicate, mais ressentie.
« À un jour peut-être, » osai-je avec un soupçon de tristesse. Mais cela ne brisa nullement son élan vers la séparation imminente.
« Peut-être! » Ses yeux et ses lèvres luisaient l’au-revoir. En me retournant, je levai ma main en guise d’adieu. Elle s’en fut le long de la 8ième avenue, sans jamais se retourner. Je l’observai un moment, puis retournai vers Gouin, un peu amère, mais tout de même content.
Comme il était coutume en banlieue, la rue n’était pas flanquée de trottoirs, et j’eus la surprise de trouver une femme, probablement de mon âge, au teint pâle, les cheveux long et noirs, emmitouflé dans un foulard blanc sortant de son manteau gris qui observait attentivement, la maison en face de celle de mon enfance. Je savais que la maison appartenait aux Martins – à prononcer à l’anglaise – et qu’ils étaient une famille nombreuse. À mon approche, la femme m’offrit un sourire poli auquel je répondis par la pareille. Je contemplai un moment la maison de mon passé, mais la présence inconnue me distrayait dans ma contemplation. Elle fit un mouvement : elle baissa la tête et rit en silence.
« Are you spying on me? » me demanda-t-elle d’une voix franche mais visiblement amusée.
« No, I’m not, » dis-je, quelque peu gêné de la situation. Je pointai la maison blanche. « I used to live here… » La noiraude remarqua mon accent et se mit à parler en français avec le plus charmant des accents :
« J’habitais juste en face! » me dit-elle en montrant la maison des Martins (anciennement, du moins), qui reposait dans l’ombre de quelques arbres âgés. Son regard s’illumina soudain. Elle me dit :
« Tu étais le garçon qui habitait là, y’a environ trente ans? »
« Y’a même plus longtemps que ça. Toi c’est Karen? »
« Oui! Tu me connais! Mais moi, je sais pas ton nom... » Je lui dit. Elle le répéta, et le prononça avec ces inflexions particulières aux anglophones qui abordaient le français. J’ajoutai un mot à propos du plus vieux souvenir que j’avais d’elle :
« Ma tante avait essayé de nous présenter quand on avait, genre, trois ans, mais je me suis mis à pleurer, tu t’es mises à pleurer, et finalement, nos parents n’ont jamais réessayé! » Je lui cachai que parfois, je l’observais jouer dehors, enfant, et que ce n’était que le manque d’audace qui m’avait laissé moisir de mon côté. Elle se tourna vers moi.
« Elle habite encore là, ta tante? »
« Non, elle et mon oncle sont partis d’ici il y a longtemps. Et toi? »
« Mes parents ont pris leur retraite et sont déménagés loin de la ville, il y a quelques années. »
Dans le silence qui suivit, Karen reprit la contemplation de son ancien chez-soi, un sourire lointain sur les lèvres. Je l’observai un bon moment sans rien dire, puis, moi aussi, me mit à étudier cette maison qui avait tant fasciné ma jeunesse. Car tout jeune, je respectais, pour une raison que j’ignore encore, les gens qui parlaient anglais. À l’école primaire, et même au secondaire, je conférais aux élèves bilingues un respect particulier, sans trop savoir pourquoi. Lorsque je me décidai à apprendre le langage une fois pour toute, au début du secondaire, j’en vins à me rendre compte que l’anglais s’avérait en parfaite synchronie avec les plus viscérales de mes émotions. La langue anglaise me permit d’écrire, un projet que j’avais d’abord abandonné, incapable d’articuler le temps et les affects avec le français. Mais c’est grâce à mon premier professeur d’anglais au CÉGEP, M. Adams, que je me découvris un véritable amour pour cette langue. Il me fallut plus de quinze ans, ensuite, pour apprivoiser le français jusqu’au point de m’y sentir suffisamment à l’aise pour m’y exprimer adéquatement.
Je pensais à ces choses lorsqu’une fine neige me ramena au présent. Oh! Ce n’était rien de particulièrement jolie, une simple neige fondante qui allait sans doute geler dans la nuit et rendre la chaussée encore plus périlleuse. Je contemplais le sol lorsque je sentis les yeux fascinants de Karen qui m’étudiaient. Je ris.
«Je me demandais, » expliquai-je, « par quel manœuvre le hasard nous avait amené ici, aujourd’hui, et j’en cherchais naïvement une raison cosmique. »
« C’est drôle, » me dit-elle, « j’ignore si je crois au hasard… »
« J’y crois, » avouai-je. « Je crois que le destin est une manière d’historiciser le passé, afin de trouver un sens à ce qui nous est arrivé, après coup. »
« Historiciser? C’est un beau mot! J’ignorais qu’il y avait un équivalent en français pour ‘historicize’. » Je souris candidement. Elle leva les yeux au ciel, un doigt sur ses lèvres dans une pose de réflexion.
« Mais voyons, s’il n’y a pas de destiné, qu’est-ce qu’il y a? » demanda-t-elle. « Dans le monde spirituel, j’entends. »
« Hmm, si vous entendez par ‘spirituel’ le monde des idées, je crois que ce qu’on y trouve, ce sont des potentialités, la plupart non-actualisées. »
« Le monde est donc virtuel. »
« Comme l’a chanté Serge Fiori, » rigolai-je.
« Qui? »
« Un chanteur québ… francophone. »
« La dualité canadienne! »
« Si on veut. »
« Mais je suis curieuse de vous entendre à propos de cet univers potentiel… Il s’agit d’une attitude presque Leibnizienne… »
« Je crois que l’univers de l’être humain est avant tout bâti par les possibles qu’ils s’imaginent. »
« Rien ou peu est actualisé? »
« Peu, en effet, » conclus-je. « Ça devient l’histoire. » Karen acquiesça doucement, satisfaite mais dubitative. J’aurais aimé lui demander de m’expliquer l’entièreté de sa conception de l’existence, dans tous les détails. Je me serais abreuvé de ses souvenirs, de ses histoires d’amour, de ses coutumes familiales, le nécessaire afin de garder contact. Il ne s’agissait absolument pas un coup de foudre, ni même d’un amour chaleureux, mais plutôt d’une recherche de solidarité, de validation du moi, une protection contre l’infâme solitude qui rongeait mon existence, particulièrement depuis que la maladie était entrée dans ma vie. Ce n’était pas l’amour autant que l’aspect social de l’amour, la complémentarité, même fictive ou approximative. Mais tous ces espoirs, ces potentialités, s’envolèrent en fumé après quelques secondes, lorsque le regard initialement enthousiaste de ma compagne alla rencontrer sa montre. Le glas avait sonné, l’heure était aux adieux. Portai-je ostensiblement l’oriflamme de mon désir de proximité? J’essayais constamment de cacher ma recherche de compagnonnage, de peur d’effrayer de potentiels copines, qui pourraient confondre mes avances pour une entreprise amoureuse.
Les mots qu’elle prononça ensuite me heurtèrent par leur manque flagrant d’imagination :
« Je dois rentrer, » dit-elle, tapotant sa montre. « Il est tard. » C’était le plus âpre des clichés.
« Je devrais faire de même, » dis-je, feignant la connivence. J’hésitai, incertain de la bonne marche à suivre dans ce genre de situation. « Je vais attendre le bus sur Gouin, » ajoutai-je. Elle pointa dans la direction opposée.
« Je dois rencontrer une veille amie, un peu plus haut. » Une pointe d’inconfort céda à un sourire plutôt honnête. Elle tendit la main.
« Je suis heureuse de t’avoir vu aujourd’hui, » dit-elle. « De t’avoir ‘revu’ en fait. » Je lui serrai la main. Sa pogne était délicate, mais ressentie.
« À un jour peut-être, » osai-je avec un soupçon de tristesse. Mais cela ne brisa nullement son élan vers la séparation imminente.
« Peut-être! » Ses yeux et ses lèvres luisaient l’au-revoir. En me retournant, je levai ma main en guise d’adieu. Elle s’en fut le long de la 8ième avenue, sans jamais se retourner. Je l’observai un moment, puis retournai vers Gouin, un peu amère, mais tout de même content.
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