« Je crois que la musique religieuse
représente la véritable rédemption de la religion institutionnalisée, »
dis-je un soir à Maève, alors que nous écoutions la grande Messe en ré mineur de Bruckner. Sous la direction de Matthew Best,
la pièce était magnifique et recelait d’un mysticisme qui ne pouvait
qu’émouvoir le cœur du pèlerin. Maève le savait : j’avais cru, je ne
croyais plus.
« Un miracle est une figure de
style, » se plaisait à répéter Maève devant Lazare, devant l’aveugle qui
voit, devant une guérison spontanée, devant une naissance inespérée. Le poète,
comme la nature, discourent souvent en
hyperboles. La résurrection de la chair n’est concevable que dans la relativité
du temps. Et l’âme, c’est la chair, condamnée à une linéarité injuste et
mortifère.
J’avais cru, je ne croyais plus. L’Église en
laquelle j’avais eu tant foi n’avait de véritable autorité sur personne,
lépreuse, impie. Et pourtant, à l’écoute de la Passion selon Saint Mathieu, de Bach, à l’écoute de la Messe en ré mineur de Bruckner, je ne
peux que concéder à deux milles ans de récits schizoïdes une rédemption
spirituelle. L’esprit, la substance pensante de Descartes, participe de
l’abstraction et de la médiation d’un tissu artistique. Un être humain n’a point
d’esprit au-delà de son animalité, mais un tableau, une symphonie, un
roman : là se trouve l’esprit, celui qu’on a tant cherché. La
transcendance du corps se fait dans la performance. Qu’est-ce qu’une prière
sinon un acte de création introspectif? Un poème silencieux seulement pour l’un?
Un désir de fusion, pour le soi?
Creatio ex nihilo le Te Deum de Bruckner. Rien à voir avec la création de l’univers. On
doit parler de la création d’une idée. Les évangiles synoptiques tentent
d’imiter l’histoire. Jean, quant à lui, ne cherche qu’à émouvoir. Lequel des
auteurs chrétiens se rapproche le plus de la pulsion religieuse originelle?
L’hyperbole la plus aisément assimilée est musicale, cela va de soi. Seul le
cinéma permet un mimétisme aussi important, en termes de ressenti. Voilà
pourquoi les interrogations religieuses de Bergman, de Tarkovski, de Pasolini –
ce dernier pourtant très athée –, font sens. L’idée religieuse évoque un questionnement
non pas historiographique, « réaliste », mais bien moral, conceptuel.
La religion est affaire d’idées, non pas de références à des événements passés.
Une fois que l’on comprend cela, les possibilités sont infinies. Le
prosélytisme est aussi puéril que les lois d’Euclide. Il faut faire chronique
de ses découvertes religieuses, et non pas les forcer à de soi-disant
mécréants.
« Es-tu un mécréant? » me demanda
Maève. Je ne pus que me souvenir de l’ami Jordan qui m’avait ainsi décrit, il y
avait une vie de cela, à la suite d’une ritournelle de Plume, et de la trame
sonore de Dark Crystal. Je n’ai
jamais pu répondre qu’une fois atteinte la mi-trentaine. Je suis un mécréant,
mais je porte en moi le germe de la foi. Le pote Antoine était fasciné par la
fonction accessoire de la religion. Il tenait ça de Nietzche. Une vie à
comprendre ce qu’il voulait m’inculquer : la foi est affaire de viscères. Nietzche,
je le compris par l’entremise de Foucault. Il n’est pas le symbole d’une
révolte nihiliste, mais bien le père bienfaisant d’une nouvelle manière
d’écrire l’histoire. Contrairement à ce que l’on veut souvent nous faire
croire, l’histoire n’est pas une entité inébranlable. Comme le futur, elle est
constamment en mouvement, elle est potentialités. Elle doit être lue, médiatisée,
pour faire sens. Elle ne doit pas servir de discours monolithique, mais offrir
des récits discursifs en constante évolution.
« Je ne sais pas, » répondis-je à
Maève. « Je crois aux histoires, pas ‘à l’histoire’, mais celles qu’on
raconte avec incertitude. Je crois aux potentialités du passé. »
« Et Dieu? »
« Une histoire pour les viscères. »
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