C’est le Québec qui est né dans mon pays (Emanuelle Dufour, 2021)
Œuvre coup de poing qui, malgré son didactisme qui frôle la condescendance, me force à réévaluer toutes mes considérations politico-historique. Bref, je dois réfléchir sur mes positions, et c’est, je crois, le but de l’autrice que de faire réfléchir. Habilement montée, élégamment illustrée, le but de cette bande-dessinée est claire et précis, et je crois que son but est atteint haut la main. (Terminé en août 2021)
Il est strictement défendu de boire en studio - 30 ans de bénévolat à CISM (Alexandre Fontaine Rousseau, 2021)
Anecdotes savoureuses, mais surtout instructives sur la célèbre « station la plus à gauche sur la bande FM », et les débuts de plusieurs figures marquantes du journalisme et des communications québécoises. Une chouette lecture sur une institution qui ne devrait jamais perdre de vue sa ligne éditoriale, ni son héritage. (Terminé en novembre 2021)
Indien stoïque (Daniel Sioui, 2021)
Dans une prose jouale extrêmement bien construite, Daniel Sioui fait beaucoup plus que ce qu’il annonce d’emblée, c’est-à-dire exprimer sa colère par rapport à l’histoire des peuples autochtones du Canada depuis la Nouvelle-France. Parfois avec un enthousiasme utopiste, parfois avec une lucidité constructive, il pose les fondements d’un avenir politique réaliste pour les Premières Nations, sans aucune prétention : ici, Sioui n’est ni essayiste, ni sociologue, ni acteur sur la scène politique. Il est un écrivain – il n’aimera pas l’étiquette! –, un observateur qui insiste pour d’importants changements culturels, économiques et politiques au sein de la structure même du Canada. (Terminé en octobre 2021)
Le démon de l’île solitaire (孤島の鬼, Kotō no oni, 1929-30), Edogawa Ranpo
Ici, ero guro nansensu (érotique, grotesque, non-sens) prends tout son (sic) sens. Et fait de Ranpo le maître du genre. Si l’auteur étire parfois un peu trop le suspense de certaines situations plutôt banales – ce qui arrive en fait deux fois, je dirais –, cela tient plus de la publication d’origine en feuilleton que d’un manque de technique. De toute façon, c’est plutôt l’exploration, dans la psyché humaine, de ce qui était, à l’époque, considéré comme transgressif – et certaines lubies des personnages, qui s’apparentent au body horror, me semblent bien de réelles perversions – qui est intéressante ici, plus que l’enchaînement de mystères que forment l’intrigue. Si Ranpo cite sans gêne ses influences, il démontre qu’il est capable de bien plus que les émuler : il les intègre à une œuvre qui lui est délicieusement personnelle. (Terminé le 1/6/2021)
L’incroyable Andy Kaufman (Box Brown, 2018, version française 2021)
La vie d’Andy Kaufman est intrigante : un génie de la performance, un provocateur malgré une sensibilité qu’il ne parvient jamais à cacher réellement, un être profondément troublé aux lubies étranges, et une fin malheureusement tragique. Mais ce roman graphique, malgré la richesse de son sujet, est unidimensionnel et on ne sait pas exactement ce que l’auteur cherche à démontrer. S’il essaie de nous présenter un personnage aux pulsions conflictuelles du soi, cela tombe à plat. On se concentre surtout sur la lutte : ses fantasmes mis en scène dans sa « lutte féminine » et ses manigances en tant que « méchant » dans la lutte professionnelle. Mais aucune ligne directrice. Toute œuvre biographique, même une autobiographie, ne peut être objective. Comme le véritable cinéma documentaire, un point de vue intrinsèque doit être trouvé sinon, on tombe dans la platitude de reportages sans intérêts. La seule pointe de l’ambivalence du caractère de Kaufman arrive à la toute fin, et semble être là pour terminer le tout machinalement sur une note heureuse. Décevant. (Terminé le 17/6/2021)
L’Ombilic des limbes et Le Pèse-Nerfs (Antoning Artaud, 1925)
La poésie d’Artaud est un réseau architectural d’une extraordinaire minutie. Ses descriptions de la maladie psychique ne peuvent que former une œuvre d’art, mais en même temps, elles précisent la nature de la souffrance intérieure, ce qui donne une valeur presque scientifique au texte, malgré que la science seule ne sera probablement jamais capable de bien rendre compte de l’esprit. (Terminé en août 2021)
Mille secrets mille danger (Alain Farah, 2021)
Ce roman semble à ce point un projet personnel qu'il m'est difficile de le critiquer. Si les procédés stylistiques sont justes et élégants, l'auteur se perd à plusieurs reprises dans des détours formels qu'il aurait pu aisément couper. Au profit des personnages, d'ailleurs, qui sont opaques et, surtout en ce qui concerne les 2 personnages féminins, manquent définitivement de profondeur. Quand on comprend l'importance de l'une d'entre elle, on ne peut être que déçu de ne pas avoir creusé davantage la relation avec le narrateur. Les personnages qui s'en sortent le mieux me semblent être les plus âgés : le père, le dentiste et la mère. Quand au narrateur, prétendument l'auteur même, l'autodérision finit par prendre, à la longue, un ton apologétique. Ce n'est pas un mauvais roman, mais il m'apparait plutôt inachevé.
Quand je ne dis rien je pense encore (Camille Readman Prud’homme, 2021)
Une poésie intérieure. Passer par l’intime pour atteindre l’ailleurs? Le cosmique? Peut-être. Mais c'est d'abord une cartographie de l'âme, celle de la poète, mais aussi la mienne, même si on ne se connaît pas. Un recueil fameux. (Terminé 10/11/2021)
Rendez-vous secret (密会, Mikkai), Kôbô Abe, traduit par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura.
Je dois étudier plus en détail l’œuvre. Ce que je comprends, c'est que Kobo semble faire un usage magistral de la spécificité grammaticale de la langue japonaise en ce qui concerne le sujet. Sa critique du monde médicale transparait dans "Rendez-vous secret", et cette notion d'anti-évolution, qui s'anime dans l'humanité me parait comme une réflexion des grands thèmes kafkaïens poussé à son extrême. Kobo m'apparait comme fasciné par l'hyperbole, l'extrême sensibilité de la perception humaine. Est-ce que son pessimisme résulte d'un dégoût d'une humanité qui l'aurait déçu? Ou d'un profond regret pour ses comparses devant un absurde ravageur? Et que penser de la sexualité du protagoniste, qui semble résister aux pulsions propres à la masse, mais se veut plus ambivalent aux désirs de la « fille de la chambre huit »? Tout cela est difficile à déterminer, mais le plaisir de ce roman bien particulier est d’y réfléchir. Au fond, peut-être suis-je trop sensible et ne peux supporter le regard détaché du romancier face à ses personnages. Peut-être est-il un habile dénonciateur du jeu politique. Peut-être est-ce tout ce que je viens d’énoncer à la fois! (Terminé le 29/6/2021)
Stalker (Pique-nique au bord du chemin) (Arkadi et Boris Strougatski, 1972. Traduit par Svetlana Delmotte).
Le roman qui a inspiré le grand film d’Andrei Tarkovski (et dont Folio lui a préféré le titre au détriment de l’original) ne saurait être plus différent : malgré la similarité de certains thèmes, seul la prémisse de base est conservé par le cinéaste et, au contraire du rythme lent et contemplatif que lui donne ce dernier, le roman des frères Strougatski est hyperactif, sans temps-mort, et ce malgré d’importants changements de tons et de perspectives entre les chapitres, ce qui rend le suspense une affaire autant narrative que formelle ou thématique.
Le texte français traduit l’argot russe en argot franchouillard, et les personnages s’expriment à la manière d’Arletty! Le résultat est déroutant, et provoque un double exotisme au lecteur non-français, qui n’a jamais été recherché par les auteurs. Mais après tout, Gallimard est un éditeur français…
Au final, un roman qui me semble important dans l’histoire de la littérature de science-fiction, de par son ambition discursive et son inventivité stylistique. (Terminé le 3/10/2021)
Tableau final de l’amour (Larry Tremblay, 2021)
J’ai dû m’habituer à l’écriture de Tremblay. La débauche du narrateur, ce Francis Bacon fantasmé, m’apparut d’abord artificiel, juvénile. Mais au fil des pages, une certaine sympathie pour le personnage s’est développée, de sorte qu’à la conclusion, je savais que l’allais m’en ennuyer. Une œuvre intéressante dont l’impudeur est franche bien qu'à certains moments, immature. Mais peut-être en est-ce sa plus grande vertu. (Terminé le 9/9/2021)
Watchmen, écrit par Alan Moore, illustré par Dave Gibbons. 1986-1987
Le super-héros est mort avec la première adaptation de Superman par Richard Donner en 1979 – par ailleurs un très bon film. Watchmen en est un cercueil élégant et implacable : on ne peut pas revenir en arrière après cet œuvre. Rarement les ruminations nietzschéennes de la culture populaire ont été utilisées de manière aussi admirable, et le nihilisme postmoderne n’a jamais été aussi multidimensionnel. Les thèmes classiques, traités richement, sont élevés par une introspection du médium qui ne peut qu’en faire un chef-d’œuvre du genre. Il semble que seuls les comics qui ont acceptés et intégrés la mort du super-héros classique recèlent d’une pertinence indubitable après Watchmen. (Terminé le 10/8/2021)
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