Marie-Josée
était une bonne amie de Maève avec qui elle jouait de la musique. On l’appelait
habituellement Emjay, pour ses initiales, mais je l’appelais Magie-Rosée,
probablement parce qu’elle vivait ses émotions à fleur de peau, justement. Était-ce l’apanage d’une grande artiste
d’être dotée d’une sensibilité aussi exacerbée? J’en étais essoufflé de
l’observer vivre des affects aussi impétueux! Peut-être était-ce pour l’aider à
vivre ses tempêtes qu’elle appréciait tant le metal. Malgré tout, de temps à autre, elle acceptait de coucher des
mélodies de guitare sur les projets iconoclastes de Maève.
Si certaines âmes se manifestaient sous la forme d’une substance éthérée à peine contenue derrière des yeux fragiles, l’âme de Magie-Rosée recouvrait plutôt les os, les viscères et les humeurs : elle s’avérait la fibre du dehors. Magie n’était certes pas le Verbe fait chair, mais on pouvait la décrire comme « l’épiderme fait cri ». Son regard grave témoignait de la responsabilité d’une telle charge, mais je ne pouvais que présumer de la puissance du cataclysme qui habitait tout son corps. De quelle nature se voulait l’esquif qui parcourait tant bien que mal les flots tumultueux de ses tripes? Qu’est-ce qui pouvait bien calmer la tempête? Jouer les notes d’un pincement de doigts? Plonger la plume dans l’encrier à la recherche d’autres modes d’existence?
Peut-être ne voulait-elle pas être apaisée. Peut-être recherchait-elle une stimulation spirituelle constante. Cela pourrait-il expliquer sa fascination pour le black metal? J’écoutais Old Man’s Child, son groupe favori, et à chaque fois me revenait le même questionnement. J’avais toujours perçu les formes actuelles du metal comme un manifeste plus que comme un travail d’esthète. C’était ce qui rendait la musique du groupe Sleepytime Gorilla Museum si intéressante. J’y voyais presque une certaine beauté : voilà tout un progrès! Mais je devais m’incliner devant la sagacité mélomane de Magie-Rosée : elle y pigeait quelque secret qui continuait de m’échapper.
Elle qui marque le rythme de la terre d’une vibration de six cordes, elle est Magie comme la vie, et Rosée comme le crépuscule. Pour l’enfant que je suis, apeuré de faire le moindre pas, c’est un bonheur par procuration de la voir gravir les montagnes de grandes enjambées. J’ignore pourquoi, mais près de dix ans après que nos chemins se soient séparés, elle surgit sans prévenir de ma mémoire, et j’en découvre quelques souvenirs heureux. Pourquoi le vent d’hiver me rappelle-t-il un visage lointain, en dessin qui se forme sur l’esprit, sous l’éclat bienveillant des lampadaires? La mélancolie du soir s’attarde à me transmettre un message dont le sens m’échappe pourtant. Quel secret détient-elle, Magie-Rosée? Quelle flamme attise-t-elle au fin fond de mes tripes?
« Peut-être t’ennuies-tu de son lézard? » me demanda un jour Maève, à qui je me confiais souvent.
« Ça doit être ça! » répondis-je en riant. Le spleen se camoufla derrière l’écran du rire, mais la présence de Magie-Rosée ne s’estomperait pas aussi facilement…
Si certaines âmes se manifestaient sous la forme d’une substance éthérée à peine contenue derrière des yeux fragiles, l’âme de Magie-Rosée recouvrait plutôt les os, les viscères et les humeurs : elle s’avérait la fibre du dehors. Magie n’était certes pas le Verbe fait chair, mais on pouvait la décrire comme « l’épiderme fait cri ». Son regard grave témoignait de la responsabilité d’une telle charge, mais je ne pouvais que présumer de la puissance du cataclysme qui habitait tout son corps. De quelle nature se voulait l’esquif qui parcourait tant bien que mal les flots tumultueux de ses tripes? Qu’est-ce qui pouvait bien calmer la tempête? Jouer les notes d’un pincement de doigts? Plonger la plume dans l’encrier à la recherche d’autres modes d’existence?
Peut-être ne voulait-elle pas être apaisée. Peut-être recherchait-elle une stimulation spirituelle constante. Cela pourrait-il expliquer sa fascination pour le black metal? J’écoutais Old Man’s Child, son groupe favori, et à chaque fois me revenait le même questionnement. J’avais toujours perçu les formes actuelles du metal comme un manifeste plus que comme un travail d’esthète. C’était ce qui rendait la musique du groupe Sleepytime Gorilla Museum si intéressante. J’y voyais presque une certaine beauté : voilà tout un progrès! Mais je devais m’incliner devant la sagacité mélomane de Magie-Rosée : elle y pigeait quelque secret qui continuait de m’échapper.
Elle qui marque le rythme de la terre d’une vibration de six cordes, elle est Magie comme la vie, et Rosée comme le crépuscule. Pour l’enfant que je suis, apeuré de faire le moindre pas, c’est un bonheur par procuration de la voir gravir les montagnes de grandes enjambées. J’ignore pourquoi, mais près de dix ans après que nos chemins se soient séparés, elle surgit sans prévenir de ma mémoire, et j’en découvre quelques souvenirs heureux. Pourquoi le vent d’hiver me rappelle-t-il un visage lointain, en dessin qui se forme sur l’esprit, sous l’éclat bienveillant des lampadaires? La mélancolie du soir s’attarde à me transmettre un message dont le sens m’échappe pourtant. Quel secret détient-elle, Magie-Rosée? Quelle flamme attise-t-elle au fin fond de mes tripes?
« Peut-être t’ennuies-tu de son lézard? » me demanda un jour Maève, à qui je me confiais souvent.
« Ça doit être ça! » répondis-je en riant. Le spleen se camoufla derrière l’écran du rire, mais la présence de Magie-Rosée ne s’estomperait pas aussi facilement…
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