Recherchez (dans les rues de la ville)

Monday, January 8, 2024

Lectures terminées en 2023

L’Héritage (Victor Lévy-Beaulieu, 2012, Boréal). La grande saga familiale des années 80, racontée dans une version « définitive ». La force de Lévy-Beaulieu, c’est la construction de ses personnages, archétypale, certes, mais fluide et parvenant même à nous faire oublier le cliché du « patois-type » de chacun. Mais ces personnages! Vivants et viscéraux, violents dans leurs convictions et leur force de vivre. La prose de l’auteur est quelque peu chancelante et inégale, et s’il prend d’abord son temps à développer le récit, plus il avance, plus il semble enclin à se presser, comme s’il ne voulait pas atteindre la millième page, et franchement, c’est agaçant, car le plus souvent, il coupe dans ses délicieux dialogues. Les derniers chapitres racontent l’équivalent du premier tiers du bouquin. Chose étrange, en le comparant avec la série télévisée  que ce roman d’abord fut, il est étonnant de voir que certaines scènes fonctionnent mieux à la télé (malgré les évidents stigmates du genre) que dans le roman, et vice versa. (Terminé en 2023)

L’homme révolté (Albert Camus, 1951, folio essai). Les idées sur la nature de la révolte, sur sa pulsion positive et inclusive me semblent particulièrement justes. Camus déconstruit l’histoire de la révolte en montrant pourquoi ce qui se veut au départ positif et inclusif finit trop souvent par sombrer dans le nihilisme et le meurtre. Fort pertinent. (Terminé en 2023)


Critiques cinéphiliques 2023

Adaptation (Jonze, 2002). Auto-parodie, questionnement  existentiel traduit en images, antidote à un réel syndrome de la page blanche que Charlie Kaufman a réellement subit en tentant d’apapter le livre de la véritable Susan Orlean… L’univers kaufmanien se précise, et continue d’explorer d’un œil absurdiste les méandres de la subjectivité, qu’il associe presque toujours à un égocentrisme souvent brutal, et que ses personnages finissent par vivre à l’extrême. Dans Adaptation, Kaufman évite le tragique par son troisième acte qui satirise la recette du scénario hollywoodien – une recette qui dénature tout propos plus « auteuriste » et personnel. C’est un peu forcé et farfelu : si cela sert bien le propos et permet de sortir des angoisses du personnage principal, dans l’univers que créent Jonze et Kaufman, une telle manigance me semble au final bien artificiel. Le résultat est bien, mais le réalisateur et le scénariste ont depuis bien longtemps prouvés qu’ils sont capables de beaucoup mieux. (2/9/2023 – date incertaine)

Asteroid City (Anderson, 2023). Si la mise en contexte de la « pièce dans le film » est beaucoup trop maniérée et un peu trop froide, un peu de patience nous permet de nous rendre compte que le nouvel exercice stylistique de Wes Anderson se veut, en fait, une tragi-comédie familiale des plus chaleureuses, en plus d’une réflexion sur la création théâtrale, et par extension, cinématographique La relation entre les personnages de Jason Schwartzman et Scarlett Johansson (de grandes performances) s’avèrent au final le cœur du récit, et leur chimie rend leur histoire franchement touchante. Et le climax émotionnel, partagé par Schwartzman et Margot Robbie clôture avec puissance, malgré l’anti-climax bien avoué, ce qui, sous des allures de sci-fi très « camp », se révèle en fait une étrange romance comme seul Anderson en est capable. Le film dans le film dans le film peut paraître, à prime abord une gimmick de plus dans le répertoire du cinéaste, mais elle trouve tout son sens dans ce fameux climax. Si le visuel du désert hyper-stylisé parait trop synthétique (Anderson filme les intérieurs avec beaucoup plus d’efficacité), les fondements du film sont bien charnel. Il ne faut simplement pas s’attendre à une intrigue béton et un rythme intense. C’est de l’absurde, et au-delà, le cœur. (24/06/2023)

À bout de souffle (Godard, 1960). « No future ». 17 ans avant le célèbre slogan, le truand Michel Poiccard l’emblématise dans l’un des films phares de la Nouvelle Vague. Les velléités sans buts, les réflexions incomplètes, les incapacités de décisions morales, voilà ce que vivent les protagonistes d’À bout de souffle. Un film solide malgré une scène beaucoup trop longue où Michel tente de convaincre Patricia de coucher avec lui. Après une trahison elle aussi prise dans l’incertitude existentielle, le personnage brillamment interprété par Belmondo va confronter la mort avec audace et tout son style bogardien, dans une finale génialement ambigüe où l’incompréhension face à la vie même – et à la mort, dans le fond – triomphe. (14/01/2023)

Athena (Gravas, 2022). Une guerre civile en France suite à l’exacerbation des tensions sociales en banlieue.  Une situation hypothétique très à-propos dont les causes, révélées dans la finale, ne sont pas dû au clash culturel que la droite réactionnaire dénonce et craint. Un sujet qu’il faut confronter, en France, et en Occident. Mais l’exécution de Gavras est bâclée sur presque toute la ligne. Techniquement, le film est impeccable : la direction des foules dans ces plans-séquence complexes tournés au drone et avec quelques probables trucages numériques, la direction d’acteur, intense et juste, la photographie, aussi brutale que les combats représentés, etc. Mais les choix de réalisation démontrent un manque crucial de maturité. Au lieu de présenter le contexte, de développer le drame dans toute la complexité d’une révolte civil, Gavas investit toutes ses ressources à ses plans compliqués bourrés des clichés des vidéos de MTV en vogue voilà 30 ans, accompagnés d’une musique absolument abjecte qui tente d’élever le pathos dans la stratosphère. Le résultat, au lieu de nous rapprocher de ces personnages que l’on côtoie de très proche, que l’on suit dans leurs interminables déplacements à travers le terrain, nous éloigne malgré tout le bon vouloir des excellents acteurs. Un bien mauvais film. (21/1/2023)

Bienvenue chez les Ch’tis (Boon, 2008). Si la prémisse est périlleuse –  rire des préjugés associés à une région –, Boon parvient à tirer son épingle du jeu en passant plus de temps à développer les deux histoires d’amour en parallèle, et à développer les relations humaines, avec les gags régionaux qui étoffent au lieu d’être centraux. Ça en fait un film très sympathique, un feel good movie particulièrement réussi. (7/1/2023)

Crumb (Zwigoff, 1995). Un documentaire sur le bédéiste légendaire R. Crumb, un homme étrange, fin observateur des tares de la société américaine, qu’il critique et attaque par un art souvent trash et sans retenue. Le personnage en lui-même est d’emblée si bizarre, mais ce qui étonne encore plus, c’est que les autres membres de sa famille (ceux que l’on rencontre dans le film, du moins) le sont encore plus! C’est une forme de mal-être grave que l’on nous montre, et c’est à se demander si les rires nerveux de Crumb sont une façade, ou un moyen de défense contre celui-ci. En termes de montage, ce documentaire est une classe de maître : on va et vient de manières hypercohérentes entre divers segments de quelques entrevues et événements, en suivant des motifs thématiques sans jamais casser le rythme. Et on reconnait Zwigoff, dans la facture du film, et des figures qui reviendront souvent dans ses œuvres de fiction. Ce film est aussi documentaire qu’expression personnelle. (20/5/2023)

End of Eternity (Ermash, 1987). Film en deux épisodes qui adapte le roman du même nom d’Isaac Asimov. Je n’ai pas lu le roman (encore), mais en connait les grandes lignes : l’adaptation semble bonne, bien que la finale change complètement de sens. Malgré tout le film a tout d’une production de science-fiction à petit budget du genre TV Movie, comme celles que produisaient la BBC et certaines boîtes de productions américaine à la même époque, par exemple. Le côté kitsch est sympathique, et la plupart des décors et des effets sont plutôt réussies. L’intrigue est entièrement charriée par les dialogues, jamais supportée par le montage qui faciliterait notre investissement émotionnel, ce qui peut rendre le visionnement ardu. Au lieu de cela, le réalisateur semble beaucoup trop occupé à imiter Andrei Tarkovski, ce qu’il fait fort mal, et trahit bien tristement une absence de réel talent. Un film mineur qui est malgré tout bien intéressant. (18/11/2023)

Gemini (Tsukamoto, 1999). Edogawa Rampo rencontre Shinya Tsukamoto dans un film sur la brutalité et la monstruosité qui habitent les deux côtés des inégalités de classe, dans le Meiji tardif. Le monstre grotesque de Rampo fusionne à perfection avec le monstre social de Tsukamoto, et l’aura d’unheimliche rappelle parfaitement le mystère propre au romancier, jusqu’à donner à une fin plutôt prévisible une ambivalence inquiétante et, en soi, elle-même monstrueuse. (20/5/2023)

Knit’s Island (Barbier, Causse, L’Helgouac’h, 2023). L’exercice est admirable : trois documentaristes se créer trois personnages documentaristes dans le jeu DayZ afin de recueillir les impressions et commentaires de joueurs rencontrés au gré du hasard. Le produit fini représente des heures (des années, en fait) de recherche dans l’univers virtuel, tout en subissant les aléas d’un jeu dont le but est de survivre à l’environnement, aux besoins vitaux de son personnage, et aux autres joueurs. Voilà la prémisse. Mais ce qui brille dans ce film, ce sont les joueurs rencontrés, en soit de véritables personnages, dont l’excentricité provient justement de l’anonymat que leur procure leur avatar virtuel. Ces personnages sont bizarres, sympathiques voire touchants, intéressants, et le parcours des documentaristes, tel que façonné par le montage, prends des allures d’odyssée psycho-sociale qui amène à reconsidérer son rapport au réel. Pas le leur, bien que ce soit abordé à plusieurs reprise dans le film, mais le nôtre, en tant que spectateur, ne serait-ce qu’en se questionnant sur la valeur du temps véritable utilisé à « exister » virtuellement en ligne. Mais ce film ne sombre jamais dans la lourdeur. On rit souvent, on peut se choquer, mais on ne perd jamais l’intérêt. Superbe. (21/11/2023)

La dolce vita (Fellini, 1960). Si j’arrive difficilement à éprouver l’attachement nécessaire pour suivre l’aventure du protagoniste de , je suis plus à même de le faire dans La dolce vita, peut-être grâce à la critique sociale virulente qu’on nous y présente. On y montre des personnages brisés, déchirés par leurs désirs et l’attrait de l’opulence abject et d’une vie de plaisirs mortifères qui, au final, ne répond jamais au besoin le plus basal de tous : la connexion humaine. Peut-être est-ce la raison pourquoi le personnage le plus sympathique du film, Paola (qui n’a pas encore perdu l’innocence nécessaire à la relation humaine), devient étrangement menaçante lorsqu’elle finit par nous regarder, nous spectateur, en guise de finale. (17/11/2023)

Last Night in Soho (Wright, 2021). Ne jamais douter d’Egard Wright : quand il décide de se lancer dans l’horreur psychologique, le produit finit est un hyper-giallo aux références multiples, conscientes ou non. On saute de la comédie musicale à une histoire de double, une descente aux enfers, une enquête criminelle, et une finale digne des meilleures films de Tim Burton, tout ça dans l’esprit des maîtres du giallo comme Argento, Bava, et autres Fulci. Edgar Wright est un grand réalisateur, il parvient à obtenir de puissantes performances de ses actrices et acteurs, qu’il filme avec un doigté, une intuition et un contrôle frôlant la perfection. Je n’ai trouvée qu’un seul manquement à son expertise, au cours de la finale, où une péripétie sombre dans l’artificialité, mais sinon, un excellent accomplissement. (6/5/2023)

Le dîner de cons (Veber, 1998). Digne de sa réputation, ce film rassemble des performances précises et des scènes habilement construites, typiques du cinéaste, filmées somptueusement pour un effet particulièrement efficace. Si les dispositifs comiques transparaissent parfois, le tout ne devient jamais artificiel par une maîtrise du rythme fort habile. Hilarant. (7/1/2023)

Le Garçon et le Héron (Miyazaki, 2023). Je suis rassuré : octogénaire, Miyazaki n’a rien perdu de son talent de raconteur, de sa créativité graphique, et de son sens du rythme. Il nous offre un grand film, aux multiples niveaux de lecture sans jamais pour autant s’alourdir sans raison. Quel merveilleux film! On nous raconte le relativisme du temps : les aînées d’une époque sont les combattantes d’une autre plus ancienne, les traumatismes du passé vivent en perpétuité par la mémoire, parfois sur plus d’une génération ; on nous raconte les difficultés de l’existence, où il n’y a pas de justice simpliste, pas d’harmonie fantasque, qu’il faut accepter ce qui peut paraître injuste, non pas sans révolte et ténacité, avec une persévérance entêtée ; mais plus que tout, Miyazaki parvient à illustrer l’obsession bien humaine de vouloir réordonner les choses, parfois à son propre détriment. Le monde qu’il nous raconte est si vraisemblable : pas tout noir, mais pas tout rose non plus, et c’est là la puissance de Miyazaki, et la raison pourquoi ses films, et ceux de son vieux complice Takahata, auront toujours une longueur d’avance sur les films d’animations hollywoodien, Pixar et autres Disney. Chez Ghibli, la véritable nature de l’existence, dans toute son ambivalence, n’est pas à craindre, ou à anesthésier, mais bien à affronter, la tête haute. Il y a beaucoup plus dans ce film, et je serai heureux de le revoir, encore et encore. Génial. (23/12/2023)

Le Père Noël est une ordure (Poiré, 1982). Nous avons droit ici à un humour théâtral, au sens où tout part du texte, à partir duquel les performances se construisent et les situations s'imbriquent et montent en intensité, et en hilarité. Si des gags comme le voisin étranger aux goûts dégueulasses ont mal vieillis, l’ensemble est un excellent exemple d’un type de comédie très difficile à faire, basé sur un rythme d’enchaînement surexcité sans jamais s’essouffler ou perdre le fil. Exhilarant. (7/1/2023)

Le Professionnel (Lautner, 1981). Ce film semble préfigurer tous les excès de l’Hollywood reaganite : machisme, escapisme, vengeance, héros indestructible, dualité manichéenne, etc. Mais si l’Hollywood des 80s est plus porté vers la politique des mœurs, Le Professionnel est aussi influencé par l’univers de Leone (la scène du duel est épique!), une misogynie moins idéologique que caricaturale (incluant une flic tortionnaire lesbienne…!), et un côté tragique très européen. Et malgré tout, ce film est amusant : la réalisation nous permet d’avaler ses invraisemblances et fantasmes juvéniles sans trop de difficulté. Le sujet aurait pu donner une fresque subversive à la De Palma. On a plutôt opté pour un film d’action subtilement plus sombre qu’il n’y paraît. (21/1/2023)

Les Olympiades (Audiard, 2021). Cas de figure sur l’état de l’amour et de la sexualité dans le monde d’aujourd’hui. Personnages engageants, spécifiquement dans leurs luttes relationnelles incluant égocentrisme, engagement amoureux, abus et quête de guérison, l’indifférence cruelle et la difficulté à donner et/ou trouver l’empathie. Sans être transcendant, le pari de départ est réussi. (15/07/2023)

Licorice Pizza (Anderson, 2021). Un film sur le décalage dans une relation amoureuse, traité non pas comme une romance, mais comme une relation humaine complexe. Ce dont on vient à attendre de Paul Thomas Anderson, tout comme ces personnages si singuliers, aux prises avec leurs propres désirs conflictuels et des situations souvent – et parfois extrêmement – absurdes. Ici, le cinéaste part du principe du drame relationnel pour montrer à quel point le concept de « vie adulte » est flou et relatif. Et en frôlant les inconforts propres à la condition humaine, on ne sombre jamais dans le tragique. Ce film est un feel-good movie au même titre que Punch Drunk Love l’était, si on peut ainsi le concevoir. J’ai été charmé. (10/2023)

Moonage Daydream (Morgen, 2022). Un documentaire impressionniste sur David Bowie, qui incarne en soi les multiples facettes de l’artiste. Bowie est toujours intéressant en entrevue, surtout à partir de son exil à Berlin, mais Morgen parvient à faire de ces commentaires une œuvre audio-visuelle forte et digne de l’œuvre de son sujet. Excellent. (14/01/2023)

Mr. Freedom (Klein, 1968). Film narratif pamphlétaire dont la piètre exécution rend le visionnement laborieux, qu’on soit d’accord ou non avec les points de vue déclinés. Si la valeur discursive, et la présence des nombreuses personnalités qui font partie de la distribution, sont les plus forts atouts de ce film, il reste qu’aujourd’hui, il ne s’agit que d’une curiosité cinéphilique pour les amateurs « hardcore ». (4/11/2023)

Niagara (Lambert, 2022). J’ai toujours la sombre impression que l’industrie cinématographique et télévisuelle québécoise se complait souvent dans les mêmes conventions de jeu et de réalisation et prend rarement des risques, aussi petits soient-ils. Les drames contemplatifs du temps où le cinéma québécois en était un d’auteurs, aussi lourds pouvaient-ils paraître, me semblent toujours plus originaux et intéressants. Et puis il y a Niagara qui me rassure qu’il y a peut-être matière à espérer. Ici, chaque personnage est singulier, soit par étrangeté, soit par la fascination de son caractère, soit les deux! Et le film aborde l’apathie du monde contemporain sans jamais sombrer dans le nihilisme ou le nombrilisme, et sans jamais manquer d’humour. La musique de Laurence Nerbonne ne ressasse pas les habituelles thématiques mornes de l’industrie. Et bien que film soit bâtit comme un enchaînement de sketches dont certains fonctionnent mieux que d’autres, on a au moins l’impression, au final, d’un effet de cohérence franchement satisfaisant. On a l’impression que Guillaume Lambert a travaillé fort sur chaque scène et chaque péripétie, chaque personnage, jusqu’à trouver le moyen d’être à chaque fois un brin original. Bref, un très bon film. François Pérusse et Véronic DiCaire – gros coups de cœur. (8/2023)

Oppenheimer (Nolan, 2023). On ne peut attendre moins, en matière de prouesses techniques, de la part de Nolan. Comme la plus belle pièce d’horlogerie, ce film démontre la plus imposante maîtrise de la technique cinématographique… au détriment total de la sensibilité. Car ce thriller très (trop?) Nolanesque est tellement artificiel… l’intrigue, qui enchaîne des brides de différentes scènes tout en gardant la même idée discursive, le rythme effarant qui jamais ne s’arrête, le montage en tapisserie qui manie trois temporalités, tous ces dispositifs créent tellement de distance vis-à-vis des acteurs, qu’on perd, au final, l’attachement et le ressenti qui auraient dus être au rendez-vous. Et ce n’est certainement pas la faute de la distribution – Murphy et Downey Jr. devraient d’ailleurs faire une place au-dessus du foyer pour leur futur Oscar –, mais de tout le reste : on noie les personnages dans tellement de couches d’artifices qu’au final, il ne reste pas grand-chose. Ce genre d’exercice a été très utile à l’excellent ‘Tenet’, mais passe complètement à côté de la carte avec ‘Oppenheimer’. (2/12/2023)

Pinocchio (Sharpsteen, Luske, 1940). Le Pinocchio de Disney est l’un de ces classiques des classiques. Et commencer son film par la sublime When You Wish Upon a Star soulève les attentes! D’un point de vu technique, ce film frôle la perfection, que l’on peut encore clairement discerner 80 ans plus tard : l’animation est superbe, les décors sont littéralement magiques – l’atelier de Geppetto est franchement impressionnante –, et comment ne pas tomber amoureux de la Fée bleue, aux mouvements rotoscopiques à l’harmonie parfaite (la référence étant Marge Champion, qui avait également servie de modèle pour Blanche-Neige). Si certains thèmes didactiques sont habilement menée (Jiminy Cricket comme conscience, par exemple), d’autres sont plus élitistes, comme le traitement plutôt négatif de la vie ouvrière, que l’on associe à la paresse et à la poursuite des « plaisirs » plutôt qu’à un phénomène d’inégalités sociales. Malgré tout, le film ne sombre pas dans une propagande idéologique active, agissant plutôt comme une fable de moralité destinée à la classe moyenne américaine de son époque. Ce qui empêche ce film d’accéder à la grandeur de Snow-White ou Bambi, c’est son rythme tortueux et un certain manque de cohésion narrative. Film moyen à la technique parfaite et à certains moments de génie. (4/11/2023)

Portrait de la jeune fille en feu (Sciamma, 2019). Quel grand film! Quel œuvre magnifique! Du scénario, d’une précision chirurgicale, à la photographie sublime, le jeu puissant des interprètes, et l’usage génial de la musique, ce film est un monument. D’abord au regard féminin, puis à l’élégie de la mémoire, en plus d’être une classe de maître en techniques cinématographiques. Ici, la fusion des techniques ne sert qu’une chose : la production d’affects sincères, et si l’on doit réfléchir ou remettre en cause notre conception du monde par l’intellect et la réflexion, ce n’est qu’en passant par le ressenti et ça, c’est la chose la plus difficile à faire en cinéma. Mais Céline Sciamma réussit la tâche avec brio, et se hisse par le fait même très haut dans la stratosphère du panthéon. Je devrai revoir ce film, autant par plaisir que pour en considérer la véritable grandeur car pour le moment, je ne peux qu’en faire l’éloge. Et je le reverrai ce film. Souvent. (12/8/2023)

Profondo rosso (Argento, 1975). Dans ce film, Argento démontre à quel point il est un grand formaliste. Sa réalisation est majestueuse, sa caméra bouge avec grâce, juste au bon moment, ses zooms sont choisis avec soin, sans le maniérisme daté associé souvent à ce dispositif. Si Argento est plus intéressé à tenter de manipuler les attentes du spectateur au dépit de l’intrigue, le film me semble malgré tout l’un des plus réussi que j’ai vu dans sa filmographie. (11/2/2023)

Repulsion (Polanski, 1965). Étude extrêmement précise d’une descente dans la folie, démontrant une bonne compréhension du sujet. Atmosphères efficaces, images superbes, Catherine Deneuve particulièrement en forme. Le produit final est fort réussi et, sur bien des aspects, plutôt progressiste, ce qui est surprenant et ironique, connaissant les méprisables habitudes de vie du cinéaste. (1/4/2023)

RRR (Rajamouli, 2022). Je ne connais pas assez l’histoire de l’Inde, ni son cinéma pour me faire une idée de l’importance de ce blockbuster dans la culture de l’état. Cependant, d’emblée, il s’agit d’un long film de surhommes s’opposant, chacun à leur façon, au colonialisme britannique, ponctué de numéro impressionnant de chant et de danse. Divers commentaires sur la fraternité, l'union de forces culturelles diverses, et la nature s'étoffent au passage. Malgré sa durée, le film ne comprend pas de longueur, mais son intensité peut rendre le visionnement éprouvant. Malgré tout, les excès du cinéma indien, menés magistralement par le réalisateur, offre un changement bienvenu à l’opulence uniformisatrice d’Hollywood. (03/06/2023)

Shin Kamen Rider (Anno, 2023). Après un génial Shin Godzilla et un très sympathique Shin Ultraman, Anno est de retour à l’écriture et la réalisation d’une relecture d’un héro classique ciné-télé avec Shin Kamen Rider. Et si le style Anno est bien présent la plupart du temps, ici on souffre d’un sérieux manque d’inspiration. Bien sûr les hommages à la série de 1971 sont nombreux et souvent visuellement réussi… sauf en ce qui concerne les méchants, qui  sont systématiquement ennuyants, et les confrontations sont si peu dynamiques que même lorsque la « touche Anno » se manifeste, les longueurs nous ont déjà complètement refroidies. Malgré une bonne performance de l’interprète de l’antagoniste principal, et la chimie amusante entre les deux Kamen Rider, c’est trop peu trop tard. L’intention d’Anno était probablement de faire différent et déjouer les attentes, et il le fait souvent bien, mais dans ce cas, c’est raté. Franchement décevant. (8/2023)

Shin Ultraman (Higuchi, 2023). Hideaki Anno était parvenu à réinventer Godzilla de manière aussi génial que l’original, et si sa version d’Ultraman n’est pas aussi innovatrice, elle demeure quand même une réussite. Réalisé par Shinji Higuchi, on sent omniprésente la facture du maître à toutes les facettes de la production. Si la musique de Shirô Sagisu aide énormément à ce faire, ce dernier livre l’une des meilleures trame sonore de sa carrière, alternant entre ses fanfares camp et la musique jazz-psychédélique des téléséries des années 60. Anno ne quitte pas l’humour bureaucratique qui a fait le succès de son Godzilla, mais y ajoute une plus-value dans sa diplomatie galactique qui, bien que prévisible un brin – et de manière toute à fait charmante! – ne devient qu’un prétexte pour œuvrer dans ses multiples relectures très acutelles des thèmes chers à la culture japonaise : l’honneur, la nature, le devoir, le conformisme, le courage, l’abnégation, tout ça en présentant de superbes designs et de l’action enlevante. Si le réalisateur est un peu effacé, j’espère qu’il retiendra ses leçons! (27/5/2023)

Sisu (Helander, 2022). Un film d’action mettant en scène un « one-man army » qui décime une unité nazie pendant l’occupation de la Finlande. Le film ne cache aucunement l’influence du spaghetti western, dans sa musique ou  même les caractères de ses intertitres, et l’esprit de Corbucci imprègne chaque scène. Les méchants se font dynamiter, poignarder, démembrer, canarder, dans un esprit plus ludique qu’horrifiant, très « cartoon ». Le héros encaisse sans broncher de terribles tourments, survit à des situations impossibles, avant bien punir l’envahisseur, tout en permettant à un groupe de jeunes prisonnières de se venger de leur tortionnaires. Ludisme, « gore », et action, sur un mode de western italien, une formule qui fonctionne parfaitement dans ce cas-ci! (4/5/2023)

Spider-Man: Across the Spider-Verse (Dos Santos, Powers, Thompson, 2023). Si l’original Into the Spider-Verse, tout en étant d’une originalité vraiment défaillante, parvenait somme toute à nous faire oublier son attirail de clichés et de formules scénaristiques, ce n’est pas le cas de la suite. Cette fois, je n’ai vu qu’une succession de conventions bien plates de drame familiale à la sauce absurdement convenue, des pires clichés corporatifs sur la vie supposée de l’adolescent américain moyen, et de péripéties plus que galvaudées tout droit sorti du monomythe de Joseph Campbell. Le tout ponctué de séquences d’actions au montage stroboscopique ultra-rapide et de longueurs insupportables. Ceci dit, ce film comporte le même genre de touches sympathiques au niveau des designs et du  visuel, de l’animation et de la conception des personnages – coup de cœur : le méchant « Spot » est très attachant et intéressant. Mais ce dont ce film abonde, plus que de l’action, c’est de sa propre mièvrerie. (18/11/2023)

Tetsuo : The Iron Man (Tsukamoto, 1989). Un thriller cyberpunk à la frontière entre cinéma expérimental et cinéma narratif – catégorisation floue, car un cinéma expérimental peut tout à fait expérimenter avec une narration. Un film d’attraction, peut-être, mais au propos fort intéressant, sautant d’une dialectique cyborgienne à l’identité de genre de manière hyper-syncopée, accompagnée d’un humour ubuesque souvent très noir, voir tragique. Il y a peut-être une ou deux longueurs vers la fin, mais encore-là, on pourrait penser qu’il s’agit d’un dispositif « expérimental » cherchant à tester la patience du spectateur. (25/3/2023)

The Freshman (Newmeyer, Taylor, 1925). Une comédie universitaire avec Harold Lloyd, très populaire à son époque. Ce genre de film m’intéresse peu, et même les facéties du comédien ne m’ont pas impressionné. Le charisme de Jobyna Ralston, malgré son rôle très (trop?) typé, me semble le point fort du film. (11/2/2023)

The Great Silence (Corbucci, 1968). Un genre d’eulogie de l’esprit même du western, mais selon l’esthétique du spaghetti-western. Le message est ainsi plus violent, plus brutal – subversif, sur plusieurs points –, et le nihilisme du mythe fondateur américain est démontré sans détour. Très bon. (11/2/2023)

The Green Knight (Lowery, 2021). Une relecture du fameux conte médiéval, sur un mode plus sérieux, plus dramatique et sombre. Ce genre d’exercice est la tendance du cinéma populaire depuis au moins les vingt dernières années, mais Lowery, dans son entreprise, triomphe. Le scénario est d’une justesse prodigieuse, la recherche se sent dans la richesse des situations et des dialogues, et si le style visuel manque de maturité à certain moment, l’ensemble est solide et sincère. Un film puissant. (15/07/2023)

The Innocents (Clayton, 1961). Drame d’horreur psychologique, adaptation de The Turn of the Screw, où l’ambiguïté génère l’effroi – une thématique devenue plutôt classique dans laquelle on ne parvient à distinguer la présence du surnaturel, où simplement d’une folie paranoïaque. Le dispositif du narrateur non fiable est reproduit adroitement par les cadrages inquiétants et le jeu des acteurs. Deborah Kerr tient le film sur ses épaules, mais la performance des enfants, particulièrement Martin Stephens, est solide. La réalisation est maîtrisée et efficace, sans être révolutionnaire. Très bon. (06/2023)

The Killer (Fincher, 2023). Fincher se penche sur la figure (contre-culturellement) classique de l’assassin nihiliste, cette fois, avec toute la précision habituelle de son arsenal technique, qui assure, comme d’habitude. Le portrait est narrativement froid – le personnage est crapuleux – mais attrayant – son œil, son traitement de la lumière, son sens du rythme, ce qui en fait un bon film de genre. Le portrait du personnage est savamment mené selon les raccourcis tordus de la logique d’un personnage dont les plus cyniques pourraient s’énamourer sans doute facilement. La scène de combat à main nu contre « la Brute » (Sala Baker) est l’une des meilleures que j’aie vues depuis longtemps. Un bon film, mais surtout, efficace. (11/11/2023)

The Last Duel (Scott, 2021). Je n’ai intérêt que dans les plus anciens films de Ridley Scott. Le début de Gladiator m’a complètement brûlé. J’ai cependant décidé de laisser une chance à ce film, peut-être dans le but de le détester. Mais Damon et Affleck montrent une fois de plus qu’ils sont compétents à l’écriture (avec leur co-scénariste Nicole Holofcener pour la perspective féminine), et Scott réussit à le mettre en image de manière compétente et intéressante. Malgré tout, je ne peux m’empêcher l’impression que le sujet, à l’ère post-metoo, représente « trop peux trop tard ». J’aurais été beaucoup plus à l’aise avec une femme à la réalisation, et il est problématique que le financement de cette superproduction ait probablement été possible surtout à cause de la réputation du réalisateur. Un très bon film tout de même. (21/10/2023)

The Limey (Soderbergh, 1999). Après un seul visionnement, ce film se hisse parmi mes favoris. Quelle leçon de cinéma. La réalisation et le montage sont parfaits, et la distribution offre des performances rien de moins que géniales. Terrence Stamp campe à la perfection ce bandit à la recherche du meurtrier de sa fille, et la conjonction d’amour, d’honneur et de cruauté en font l’un des plus beaux personnages de la filmographie du réalisateur. Une histoire simple qui se révèle astucieusement au spectateur, et qui confirme Soderbergh comme le plus intelligent réalisateur grand public d’Hollywood. (03/06/2023)

The Night of the Hunter (Laughton, 1955). Que peut-on ajouter à tout ce qui a été dit de ce remarquable film? La mise en scène opératique – car ce film a davantage à voir avec l’opéra que le théâtre – et le style néo-expressionniste élève un sujet plutôt anodin au rang d’épopée maximaliste. Car si le film traite d’abord des deux pôles de la foi, la destructrice d’un côté, la salvatrice de l’autre, l’ensemble est si organique, si prégnante de cohésion, qu’on ne peut que se laisser porter par l’œuvre  presque contre son gré. C’est un étrange équilibre que Laughton atteint, entre le jeu caricatural de certains personnages qui contraste avec le réalisme stylisé de Robert Mitchum ayant permis à son personnage de devenir l’un des plus grands antagonistes du cinéma mondial. C’est ce même équilibre qui mène Lilian Gish à la sainteté, Shelley Winters à la dévotion aveugle – sans pourtant en être totalement inconsciente – et  Billy Chapin à l’évocation d’un enfant résolument moderne. L’image cinématographique cesse de n’être qu’un support au narratif pour prendre pleinement les moyens des atmosphères créés avec les ritournelles qui ponctuent le récit. Ce film est un chef-d’œuvre. (20/5/2023)

The Northman (Eggers, 2022). Adaptation très libre de la légende d’Amleth selon Saxo Grammaticus (qu’adaptera plus tard Shakespeare), doublé d’une bonne dose de machisme à la Conan et d’une lecture néo-païenne des croyances préchrétienne. Fidèle à lui-même, Eggers montre une recherche exemplaire, une mise en scène nuancée, et une réalisation experte pour « moderniser » la légende avec la grittiness propre au goût du jour. Dans les mains expertes du cinéaste, ça fonctionne plutôt bien, quoiqu’une certaine prudence face aux choix de représentation des peuples anciens soit de mise. (8/4/2023)

The Untouchable (De Palma, 1987). De Palma m’est toujours apparu comme le moins intéressants des grands auteurs du Nouvel Hollywood : son sens du spectacle hyperbolique tourne souvent au sensationnalisme, et sa volonté de tout subvertir finit par me tomber sur les nerfs. « The Untouchable » est plus léger. Si le film abandonne la subversion, c’est au profit de sa propension au spectaculaire : aussi, il se permet une scène de western épique en plein cœur du film, et son fameux hommage tonitruant à Eisenstein (et Hitchcock, évidemment), vers la fin, sans compter la brutalité des antagonistes, sanglante à souhaite. Mais dans l’ensemble, ça fonctionne : il transforme Eliot Ness et sa bande en « supercops » (on donne une carabine au comptable!!) qui pourfendent les sbires de Capone, en prenant d’énormes libertés historiques au nom… du spectacle! Ajoutons une trame sonore signée Morricone, qui oscille entre la fanfare coplandesque pour illustrer la vertu des héros, et des rythmes plus contemporains pour souligner l’action, le résultat est pas mal. De Palma grand public. (25/12/2023)

The Velvet Underground (Haynes, 2021). Un documentaire sur le groupe légendaire. Présentation extrêmement intéressante de la scène artistique new-yorkaise des années 60s. Suit un modèle de reportage plutôt classique avec quelques sympathiques variations. (14/01/2023)

Monday, January 16, 2023

Critiques cinéphiliques 2022

5-25-77 (Johnson, 2022). Difficile d’être négatif devant un projet aussi personnel. Mais le film autobiographique de Patrick Read Johnson comporte tous les défauts que l’on associe à un « premier film » : l’auteur a voulu en mettre trop. Trop d’artifices, trop de péripéties, trop de clins d’œil… Trop. Ce qui en fait un film beaucoup trop long, et malgré toutes les bonnes intentions du monde, malgré les excellentes performances de la distribution, l’expérience est surchargée et au final, ennuyeuse. (décembre 2022)

8½ (Fellini, 1963). Sur les bancs d’école, je n’avais jamais accroché à Fellini. Le fait de présenter ses films dans les hideux doublages français n’a probablement pas aidé. Il aurait fallu mettre en contexte, montrer ce que le cinéaste osait, à l’époque – outre sa critique des mœurs : le film dans le film qui finit par déborder du film… la vie fantasmatique qui s’imbrique dans un même espace, dans un même cadre. Le Carnaval, le festif, qui viennent dédramatiser un sujet très violent. Car Guido, interprété viscéralement par Mastroianni, est un être abject, un vampire qui dérobe la vitalité des gens – surtout les femmes – qui l’entourent. Et puis, il y a ce traitement presque anodin des théories jungiennes au cœur du drame, auquel je n’avais jamais vraiment porté attention… Bref, j’apprécie plus que jadis ce film, bien qu’il semble que je ne serai jamais un grand amoureux du maître italien. (18/11/2022)

A Fish Called Wanda (Crichton, 1988). Si la réalisation est beaucoup trop sobre, et la musique trop convenu, c’est le travail au scénario (signé du réalisateur et de John Cleese, également à la distribution) et ses grandes performances qui élèvent ce film au rang des meilleures comédies cinématographiques. Excellente étude du ridicule qui dépasse amplement le contexte très britannique du récit. L’équilibre est parfait entre tendresse et burlesque, macabre et politique. Un pur bonheur, ce film. (5/11/2022)

A Chinese Ghost Story (Ching, 1987). Je ne connais pas assez l’histoire du cinéma hongkongais pour comprendre son oscillement entre son formalisme léché et son humour cabotin outrancier. A Chinese Ghost Story est une fusion de romance et d’horreur au kitsch hyperbolique qui frôle mais ne sombre jamais dans le mauvais goût. Un étrange film d’un courant que je ne connais pas assez. (12/11/2022)

Adieu Galaxy Express 999 (Rintaro, 1981). Beaucoup plus beau que le premier film basé sur le fameux manga de Leiji Matsumoto – sans doute dû à un plus gros budget. Les décors sont somptueux, l’animation plus raffinée, la musique, dans l’ensemble, beaucoup moins kitsch. Mais le scénario est faible et, essentiellement, raconte la même histoire que le premier film. De manière beaucoup moins inspirée. Cette suite est, pour ainsi dire, totalement inutile, et franchement décevante. (4-5/07/2022)

Agnès Varda. Dès Cléo de 5 à 7, on comprend qu’Agnès Varda maîtrise parfaitement le langage cinématographique, au point d’en expérimenter les frontières sans jamais tomber dans l’artificiel. Ses mises en scènes et cadrages rappellent Godard, sans le côté tonitruant et grandiloquent. Après le visionnement de deux de ses films, Cléo de 5 à 7 (1962), et Kung-fu master 1987), la cinéaste m’apparaît comme l’une des maîtres du septième art, en parvenant à atteindre un équilibre parfait entre un formalisme pertinent et un contenu riche en signifiance. Que ce soit la redéfinition de son identité – en temps réel!! – dans Cléo, où un regard au-delà de toute moralité dans Kung-fu – et c’est la réaction face à ce « pas » de trop qui est l’enjeu central du film –, Agnès Varda possède à la fois le détachement et la proximité nécessaire pour un cinéma aux proportions transcendantales. (13/3/2022)

Alice (Svankmajer, 1988). Impressionnant film d’animation qui revisite l’œuvre de Lewis Carroll avec une esthétique d’Unheimliche thématiquement et diégétiquement justifiée. Stop-motion d’une fluidité peu commune et d’une reproduction de mouvements remarquablement précise. Atmosphère méticuleusement contrôlée, hypnotique, qui cimente un ensemble particulièrement cohérent. L’imagerie est originale et ingénieuse. Singulier. (5/10 /2022)

American Psycho (Harron, 2000). Une satire de la culture yuppie des années Reagan plutôt intéressante malgré une cinématographie bien trop sobre qui vient presque gâcher une mise en scène très juste – le surjeu très pointu de Christian Bale n’est pas sans rappeler celui de Brent Spiner. Bien malgré tout. La scène des cartes d’affaire est hilarante et d’une cinglante précision. (9/7/2022)

Blade of the Immortal (Miike, 2017). On passe d’un combat à un autre, sans grand développement de personnage, et malgré une technicité étonnante, l’action incessante devient redondante à la longue. La musique de Kôji Endô est probablement l’élément le mieux réussi du film. (13/8/2022)

Britannia Hospital (Anderson, 1982). Ce film s’inscrit dans la tradition des sitcoms britanniques, peut-être par manque de moyen, mais une part est visiblement intention, de par le jeu caricatural de ses interprètes et son humour absurde, dont on pousse l’ironie et le cynisme à l’extrême. Tout y passe, dans ce film : les conservateurs, les progressistes, les syndicalistes, le patronat, les révolutionnaires, les politiciens et la monarchie, les scientifiques, les lanceurs d’alertes, l’influence mortifère de l’Occident en Afrique (et ailleurs)… Sans compter une sévère critique du transhumanisme. On en révèle le penchant fascisant avec plus de virulence que bien des œuvres dénonçant le concept! Avec quelques moments hilarants, ce film sévère laisse un arrière goût inquiétant quant à l’avenir de l’humanité. (4/2022)

Cloud Atlas (The Wachowskis, Tykwer, 2012). Un très beau film, dans une formule qui se retient à Hollywood par ses conventions (par exemple, le happy-end absent du matériel source), mais qui s’en éloigne quelque peu dans la forme. Bien sûr, plusieurs histoires montées en parallèles n’ont rien de révolutionnaire. Cependant, ici, on prend son temps, on installe méthodiquement les prémisses de chaque récit, quitte à perdre un temps le spectateur, jusqu’à ce que la charge narrative de chacune converge vers une finale plus que satisfaisante. Dommage que même la critique n’ait pas été assez patiente pour saisir l’effort.
Mais je dois avouer que je partage les réserves de nombre de groupes à propos des acteurs blancs qui incarnent des personnages coréens. Outre le fait que les maquillages sont franchement horribles, ce qui cause dès le départ un problème de représentation, il y a ce double standard qui ne s’applique qu’aux personnages coréens : aucun personnage noir n’est interprété par un acteur d’une autre ethnie dans le segment traitant de l’esclavage. Je comprends le concept de montrer que les « âmes », représentées par les acteurs qui jouent plusieurs rôles, ne connaissent aucune frontière ethnique ou de genre. Sur papier, c’est même très beau, et ça permet aux acteurs de démontrer l’ampleur de leur talent. Tom Hanks, par exemple, sort admirablement de ses rôles types de bons gars monotones. Mais le problème de la représentation demeure, et je pense que si on avait abandonné l’idée, ce film serait entré dans les classiques du XXIème siècle de par sa mise en scène raffinée et son ambition épique. Le leitmotiv de la tache de naissance aurait été tout aussi efficace à montrer l’universalité de l’âme sans créer de distanciation douteuse. Somme toute pas mal. (7/8/2022)

Drive My Car (Hamaguchi, 2021). Une étude de mœurs des plus intéressantes, une belle histoire qui n’est pas autant propulsé par une intrigue – à la base plutôt standard : le personnage doit affronter ses démons – que par ce qui est dit à travers chaque scènes. Car tout, dans ce film, passe par les dialogues. Comme le texte d’une pièce de théâtre, la parole incarne les personnages, et non l’inverse, ce que montre avec grand soin, en prenant un temps qui peut en rebuter plus d’un, toute ces scènes illustrant la méthode de travail du metteur en scène Kafuku, le protagoniste principal. Les personnages sont complexes, uniques, et c’est par la spécificité de leur vie que le récit progresse, que les personnages avancent et se réalisent. De belles scènes, touchantes non pas par sentimentalité, mais par la véracité de leur humanité, entrecoupées de la démarche de mise en scène, des auditions initiales à la pièce elle-même, pour sonder les cœurs esseulés. Un long préambule touchant à l’acte d’écriture, ainsi qu’au cœur dramatique de l’expérience humaine est nécessaire pour nous amener là où il faut afin de comprendre un film qui est, en fait, une expérience de vie. La réalisation est d’une sobriété désarmante, ce qui permet de se concentrer sur les acteurs et leurs mots. Le pari est réussi, mais ce n’est pas pour tout le monde. (29/1/2022)

Everything Everwhere All at Once (Kwan et Scheinert, 2022). À la question « peut-on faire du bon divertissement hollywoodien encore aujourd’hui? », ce film offre une piste de réponse. Au pseudo-tragédie plus ou moins gritty du MCU, l’idée du superhéros plonge à pieds joints dans ce que ce personnage est à la base : absurde! Et on embrasse l’absurde à forte dose de sci-fi en faisant usage de la plus hilarante et pertinente pseudo-science que j’ai entendu depuis longtemps. Les thèmes si important d’Hollywood : l’amour, la famille, sont traités avec grandiloquence mais ne sombrent jamais dans les bons sentiments par la persistance du danger au-delà de toute aberration d’happy-ends qu’on nous martèle habituellement. Ça rend le film franchement touchant, par moment. Et pour les cinéphiles, tous les tropes et les schèmes chers au cinéma moderne (et pas seulement de science-fiction) se font référer, de manière toujours intelligente et dérisoire, de Matrix (et de façon bien plus intéressante que dans la trilogie originale) à l’œuvre d’Hideaki Anno, celle de Wong Kar-Wai, en passant par à peu près tous les films de kung-fu – d’époque ou contemporains –, les vieux Star Trek, les films de Pixar… La distribution, dans son ensemble, est fantastique : les personnages – dans toutes leurs versions – sont habilement définis et attachants. Voilà, intelligence, escapisme et succès commercial peuvent être réunis, quand on se donne la peine. (21/5/2022)

Giliap (Andersson, 1975). On reconnait clairement le germe de ce qui deviendra le style propre au réalisateur, mais sans la grande maîtrise qui lui sera caractéristique. Le jeu de ses acteurs tend vers ce réalisme absurde qui sera sa marque, mais manque souvent d’assurance. Bref, ce film est une ébauche, et son plus gros handicap en est l’intrigue – le dernier acte est ridiculement prévisible et tombe à plat. Fort heureusement, le réalisateur se débarrassera presque totalement des intrigues flagrantes lors de ses longs métrages subséquents. Car Andersson est meilleur à filmer des personnages qui sont soit inconscients de leur propre condition, soit en profond questionnement existentiel. (10/9/2022)

Glass Onion (Johnson, 2022). Une nouvelle enquête du détective Benoît Blanc qui s’avère digne du grand film qu’avait été la première. Pas aussi transcendant, cependant : Rian Johnson semble avoir de la difficulté à filmer les grands espaces que lui offre son île paradisiaque, il revient au ton baroque de son pourtant excellent Last Jedi, mais malgré ce petit défaut, le plaisir à regarder son détective demeure le même. Excellent divertissement, brillant et inventif. (25/12/2022)

Hereditary (Aster, 2018). Bon, Midsommar m’avait grandement déçu. Outre l’excellente performance de Florence Pugh, l’œuvre ne s’avérait au final qu’un ramassis de clichés et de légendes urbaines historiques sur les pratiques païennes (mais pas que) en Europe du nord, en plus d’une psychologie totalement absurde de la plupart de la distribution. Il ne restait que le style, lui plutôt original, mais ça ne rachetait pas l’ensemble. Hereditary utilise aussi le motif de la société secrète et le thème du temps cyclique manipulé par des conspirationnistes, mais à une échelle beaucoup plus réduite, ce qui en augmente la vraisemblance et l’efficacité. Structurellement, le scénario est bien construit, mais la mise en scène manque de punch dans son développement. Forte heureusement, la finale est une cascade de séquences horrifiques et bizarres qui est, à mon sens, fort réussie. Mais les clichés et la recherche historique demeure malgré tout trop superficielle – les séances de spiritisme risquent de rendre mal à l’aise seulement les believers – ce qui semble être la faille principal de ce cinéaste dont le formalisme parfois mal contrôlé demeure pourtant intéressant. (29/10/2022)

Hereditary (Aster, 2018). Well, Midsommar was a disappointment for me. Despite Florence Pugh’s excellent performance, the film was built on too many clichés and urban legends from the pages of history books about dubious practices in old Northern Europe (mostly attributed to pagans). Like Midsommar, Hereditary also uses the motifs of cyclical time and secret societies pulling the strings, but on a much reduced scales, which does make it easier to believe and much more effective. Structurally, the script is well built, though the mise-en-scene does wander a bit in the development part. However, the finale offers a succession of really horrifying and bizarre sequences, which are really powerful. But the clichés and superficial use of historic data still hinders the overall effectiveness. The séance stuff is bound to affect only “believers”, for instance. This too much light-heartedness in research seems to be the main flaw of an otherwise really gifted filmmaker.

Hôtel du nord (Carné, 1938). Si le scénario est moins élégant que ceux de Prévert, le film demeure finement mis en scène. Louis Jouvet, et surtout Arletty, offrent d’incroyables performances qui valent à elles seules le visionnement. Sans être un chef-d’œuvre, un film réussi. (9/2022)

House (Obayashi, 1977). Superbe comédie d’horreur, baroque et cabotine, qui utilise à peu près tous les trucages photographiques disponibles à l’époque, pour créer une ambiance à la fois kitsch et surréaliste, par moment parodique. Un film profondément japonais, où l’on pousse les expressions commerciales à l’extrême, pour en faire de l’art. Ainsi, la muzak devient « noble », tout comme le soap opera – le « dorama », ou le film d’horreur grand public. C’est franchement réussi, et Obayashi réussit même à y insérer une critique antimilitariste – le cinéaste est natif d’Hiroshima. Les images sont magnifiques, souvent montées à partir de composite de différents modes de trucage : photographie standard, utilisation de mattes et de maquettes, animation, stop-motion, etc. Voilà ce que j’appelle de « belles images », et non pas les chimères pompeuses que l’Hollywood d’aujourd’hui offrent afin d’attirer les foules dans les salles IMAX! Et pourtant, je le rappel, House est un film foncièrement commercial, mais également, et c’est sa force, subversif au sens le plus noble du terme. Une impressionnante prouesse! (4/2022)

Il Decameron (Pasolini, 1971). J’avais adoré The Canterbury Tales, avant de voir en Teorema le triomphe absolu de Pasolini. Je dois admettre qu’Il Decameron m’a laissé sur ma faim, malgré quelques très bonnes séquences. Il m’est impossible de revenir sur ce film avec un semblant d’objectivité. Je devrai le revoir, éventuellement. (4/2022)

It Must Be Heaven (Suleiman, 2019). Suleiman fait du slapstick minimaliste intellectuel, et parvient à le faire fonctionner avec classe. Ses observations sont riches en matériel discursif, parfois cinglantes, souvent subtiles. La comédie désamorce la haine, mais conserve le tragique de la condition humaine et des conflits au Moyen Orient, dont l’histoire nous est savamment cachée depuis si longtemps, ici en Amérique. (21/5/2022)

James Joyce’s Women (Pearce, 1985). Écrit et interprété par Fionnula Flanagan, ce téléfilm se targue d’une sobriété laissant toute la place aux fortes performances de sa conceptrice. Intrigante adaptation d’une pièce de théâtre sur la vie des femmes, les véritables comme les fictives, dans la vie de James Joyce. On en vient à se demander comment les tableaux ont pu être joués sur scène tant leur enchevêtrement à l’écran semble organiques. (27/8/2022)

Jeremy (Barron, 1973). Un slice-of-life à propos d’un premier amour pour un couple adolescent. Aucun conflit n’intervient entre les protagonistes, qui vivent les événements avec sincérité et grâce. Même le nœud dramatique, qui provient de l’extérieur du couple amoureux, « arrive », simplement, sans être forcé par un dispositif narratif superflu. Si la mise en scène est parfois trop « relâchée », au final, c’est le caractère intime de l’expérience qui triomphe. La véritable faiblesse de ce film est sa musique originale, beaucoup trop lyrique et franchement kitsch. (6/3/2022)

La bataille d’Alger (Pontecorvo, 1966). Quel film! On fait entrer l’esthétique du néoréalisme italien dans la modernité dans ce qui est un grand film politique, et probablement le plus grand film sur la Révolution jamais produit. La caméra documentarisante réalise la prouesse de paraître, à plusieurs reprises, comme de réelles images d’archive, et le scénario laisse entrevoir une certaine neutralité à laquelle on ne s’attend pas d’emblée. Le parti pris pour les révolutionnaires est évident, mais malgré mon biais qui abonde en ce sens, je crois réellement que j’ai regardé rien de moins qu’un chef-d’œuvre, au sens universel du terme. (15/1/2022)

L’argent (Bresson, 1983). Que dire sur ce film qui n’ait pas été dit, autre que partager les éloges qui semblent faire consensus? Il s’agit, en fait, d’un des films les plus sombres de Bresson, l’histoire d’une déchéance entraîné par un crime dans un monde où la malhonnêteté est omniprésente, et où même les envolées justicières n’ont comme cause qu’une impulsion égotiste (voir le personnage de Lucien). La technique n’a jamais été aussi contrôlée, chez Bresson, et le jeu impersonnel de ses non-acteurs ne fait que renforcir, dans la diégèse, l’indifférence profonde du monde. (15/1/2022)

La vie heureuse de Léopold Z (Carles, 1965). Une journée dans la vie d’un petit entrepreneur montréalais. Ce film, outre les liens affectifs qu’il présente, prend pour sujet le Montréal de la Révolution tranquille. On peut y déceler l’ascension de la métropole à la modernité, les interactions entre classes sociales, et les aspirations bien humaines des citadins, à la jonction entre le politique et l’intime. Un très beau film qui démontre tout le talent et la sensibilité du cinéaste. (7/2022)

Le chat dans le sac (Groulx, 1964). L’un des premiers films de fiction moderne du cinéma québécois, faisant un remarquable usage de cette esthétique documentarisante qui lui sera longtemps associée. On en est au balbutiement de ce style particulier, et le film est par moment plutôt maladroit, sans pour autant compromettre sa valeur – il se démarque particulièrement de la Nouvelle Vague française, tout en lui étant ouvertement redevable. J’ignore si le but de Groulx était de montrer les dangers de la contemplation intellectuel, mais c’est le sentiment que j’en garde : le protagoniste masculin est d’une antipathie peu commune, ce qui rend cette longue, mais combien puissante scène où sa compagne s’en désolidarise, cathartique et libératrice. Car si le manque d’intérêt apparent de la protagoniste pour la politique semble d’abord un point faible, le film finit par lui dévoiler une maturité beaucoup plus grande que son compagnon dont le nihilisme pousse finalement à la neurasthénie. (8/9/2022)

Le Corbeau (Clouzot, 1943). Un drame solide signé Henri-Georges Clouzot, sombre et pessimiste, qui explore les effets de la paranoïa et de la jalousie. La distribution est solide, mené par Pierre Fresnay dans le rôle principal. Réalisé sous l’occupation, l’histoire de la production, et de la diffusion du film est presque aussi passionnante que le film lui-même! (10/9/2022)

Les Diaboliques (Clouzot, 1955). Une intéressante entrée pour Clouzot, qui rappelle le dispositif du Corbeau, où l’intrigue s’accélère en un crescendo d’incertitude jusqu’à un punch final astucieusement orchestré. Ici, Clouzot choisit de laisser le spectateur dans l’ambivalence. Véra Clouzot démontre son immense talent, basculant entre une puissance désespéré, et une fragilité autant morale que physique. Meurisse est maléfique et Simone Signoret, froide et tragique. Les séquences horrifiques n’ont pas perdu leur mordant. Un film solide. (15/10/2022)

Les sorcières de Salem (Rouleau, 1957). Adaptation par Jean-Paul Sartre de la fameuse pièce The Crucible d’Arthur Miller. Une critique virulente de la culture américaine – beaucoup plus que dans le texte original–, avec quelques élans socialistes propre à Sartre, sans pour autant tomber dans le moralisme simpliste : la conviction de l’interprétation et la sobriété de réalisation y sont pour beaucoup, ici. Le choix de complexifier les personnages féminins, particulièrement Abigail, mais aussi Elizabeth, fonctionnent admirablement et rehaussent le drame. Un excellent film. (18/6/22)

Light of Day (Schrader, 1987). Un drame social plutôt réussi. Michael J. Fox est particulièrement efficace, Joan Jett s’en sort plutôt bien, et Gena Rowland rend parfaitement son personnage dans une sincérité qui nous force à la compréhension, malgré son antagonisme qui aurait pu complètement l’emporter. Malheureusement, la mise en scène rigide manque de complexité et la vie familiale nous apparaît, au final, plutôt artificielle, malgré son rôle central au cœur du drame. La figure du père est complètement évacué, et c’est quelque peu insultant de sous-utiliser de la sorte un acteur de la trempe de Jason Miller. Contrairement à ce qu’on en a dit, cette faiblesse de la mise en scène n’a absolument pas a voir avec un mauvais casting. Les acteurs sont bien à leur place, c’est du côté de la réalisation qu’il faut chercher : Schrader est un meilleur scénariste que réalisateur. Le film a tout de même été pour moi une belle surprise. (25/12/2022)

Mad God (Tippett, 2021). Un trip formel dont les références thématiques, sont mises en scène de manière brutale, scatophile, violente, mais incroyablement intrigante. Si l’attaque sur les sens peut facilement submerger la raison, et même couper l’envie d’y revenir, dans ce cas précis, j’y reviendrai certainement. Les dispositifs de représentation de l’ambivalence, pire, des ténèbres inhérentes à l’humanité et à ses activités, me semblent des plus pertinentes, poétiques et hautement viscéraux. Franchement intéressant. (18/6/22)

Marianne de ma jeunesse (Duvivier, 1955). Une histoire de fantômes (au sens large), une histoire de bandes de garçons, d’un enfant sauvage… Les images sont magnifiques, mais le jeu théâtral, bien que souvent juste, manque de finition. Un conte de fée hyper-romantique à la réalisation inégale, mais non dépourvue d’intérêt. (24/6/22)

Monsieur Klein (Losey, 1976). Une histoire de double, de virtualité, de fascination, et d’un étrange voyage hors de l’indifférence, sous le règne de la collaboration en France occupé – un sujet controversé, la plupart du temps évoqué à voix basse. La réalisation fait parfaitement le pont entre l’esthétique classique américaine et une sensibilité toute européenne, avec des séquences qui rappellent aussi bien Kubrick que Melville, et préfigure même Lynch. Alain Delon joue avec sa retenue caractéristique qui complexifie son personnage en ne révélant qu’au compte-goutte l’ambivalence de sa psyché. Michel Lonsdale offre également une impressionnante performance, mais c’est la maitrise de la réalisation qui triomphe, ici. (6/2022)

Mort à Venise (Visconti, 1971). Le matériau qu’adapte ici Visconti permet d’explorer ses propres conflits intérieurs. La doctrine catholique, à laquelle il s’est toujours associé, ne pouvait qu’entrer en conflit avec son homosexualité. Ce thème était central au discours qui transparait dans son film précédent, Les Damnés. Dans Mort à Venise, il semble inscrire son art dans une forme de dialectique entre le plaisir des sens et l’utopie de la beauté spirituelle chère catholicisme, un dualisme bien présent dans l’art occidental depuis le Romantisme, teinté de la culture judéo-chrétienne dominante. Le sujet est délicat : un fantasme pédérastique en vient à profondément troubler le protagoniste, qui tente tant bien que mal d’intérioriser le tout. Mais les émotions conflictuelles que la situation génère l’accablent viscéralement, tout comme l’épidémie qui s’étend sur la ville. Le tumulte est paradoxalement filmé avec une caméra méditative et lyrique, ponctuée de flashbacks où Visconti élabore son discours artistique qui, sous le signe d’un catholicisme assumé mais intransigeant, surenchérit le caractère tragique de la nouvelle de Thomas Mann. (20/2/2022)

Nightmare Alley (Goulding, 1947). Ce film opère quelque chose qui ne se voulait certainement pas volontaire de la part de l’auteur du roman original – je ne l’ai pas lu. Ce film, donc, présente trois personnages féminins qui gravitent autour du protagoniste principal, un homme amoral dont la chute et le sort funeste est amplement mérité. Chacune s’en sortent en triomphant, à leur manière. L’aînée vertueuse conserve sa dignité, la femme-enfant écoute sa conscience et s’empêche de sombrer dans la déchéance de l’antihéros – bien que le happy-end forcé rende son sort ambigu –, et la maléfique manipulatrice remporte la partie en parvenant à sur-escroquer l’escroc et s’en sortir affreusement riche. Ce triomphalisme féminin est atypique dans les films noirs de l’époque, et l’indépendance de l’aînée et de la vilaine – cette dernière est d’ailleurs une femme de carrière totalement épanouie et en contrôle dont l’atout principal est l’intelligence et non son charme – me semblent particulièrement admirable et renverse les codes du genre. Le jeu des actrices y est pour beaucoup. Si la femme-enfant de Coleen Gray s’apparente le plus aux héroïnes passives du Hollywood de l’époque, Joan Blondell, et particulièrement Helen Walker, affirment leur féminité avec une puissance qui rend tout à fait crédible la chute du protagoniste. Je ne suis pas un expert du film noir américain des années 40, mais je ne peux m’empêcher de voir en Nightmare Alley un renversement féministe particulièrement habile des rôles genrés habituels au cinéma hollywoodien de l’époque. (5/2/2022)

O Brother, Where Art Thou? (Coen, 2000). D’abord un divertissement efficace, sans jamais se leurrer quant au côté sombre de la culture du sud des États-Unis (du début du XXème siècle, de surcroit), il faudra sans doute une étude approfondie pour ressortir toutes les implications socio-historiques présentes dans ce film. C’est une aventure, une odyssée (toute avouée d’emblée) sans réel temps mort. (13/8/2022)

Parlez-nous d’amour (Lord, 1976). Ce film est tout un accomplissement. Une critique virulente de la société québécoise de l’époque, avec pour cible le vedettariat de la scène télévisuelle. Jacques Boulanger, animateur à la mode, est à l’origine de bien des anecdotes que Jean-Claude Lord et Michel Tremblay ont par la suite mis en récit, en plus de jouer le rôle titre. Un acte de courage? Un suicide professionnel? Le personnage est à la fois profiteur, orgueilleux, ambitieux, mais bien vite dégoûté et accablé par la misère, sans pour autant s’avérer capable de sortir complètement du manège. Boulanger joue avec justesse, parmi une distribution de légendes : Claude Michaud, Benoît Girard, Manda Parent (à la fois touchante et pathétique), Rita Lafontaine, André Montmorency, Monique Mercure, Michelle Rossignol, Denis Drouin… Si l’image demeure fortement imprégnée du documentaire, ce qui restera longtemps une caractéristique formelle du cinéma de fiction québécois, la mise en scène et le montage rappelle un Altman en grande forme. La première heure passe de moments hilarants aux pires malaises, alors que le tragique s’immisce, et finit par presque dominer, la seconde moitié. Caustique, mais bon. (25/3/2022)

Return to the 36th Chamber (Lau, 1980). Après l’excellent The 36th Chamber of Shaolin, je m’attendais à du « réchauffé » pour le second volet de cette trilogie informelle. Mais cette suite est un petit bijou du cinéma de kung-fu. Toujours, la problématique sociale, et le héros d’abord peu crédible, qui s’entraîne pour devenir meilleur, entêté devant un maître qui le manipule pour le mieux. Et de ces valeurs sociales et martiales émergent le sauveur qui se bat avec les armes du travailleur : de la corde de bambou et des échafaudages. Et la comédie, au cabotinage typique de l’école hongkongaise, nous permet d’accueillir cette fable morale sans sourciller. C’est aussi ça, le cinéma! (décembre 2022)

Sex, Lies and Videotape (Soderbergh, 1989). La répression sexuelle en milieu petit bourgeois du sud des États-Unis est un sujet déprimant et franchement emmerdant, du moins à mes yeux. Il n’y avait que Soderbergh pour en faire quelque chose d’aussi intéressant. Dans les faits, le film se construit à partir d’une scène centrale, autour de laquelle le reste tourne, dans une espèce de crescendo au rythme légèrement inégal, mais dont le chemin en vaut franchement la peine. Car cette scène centrale n’est rien de moins qu’un moment d’anthologie du cinéma américain. Un drame puissant aux implications profondes, une étude sociale surprenante, une leçon de mise en scène et de jeu. (5/2022).

Shattered Glass (Ray, 2003). C’est un biopic qui possède les stigmates obligatoires du biopic : un montage qui atténue un peu trop la mise en scène par des dispositifs inutiles (la scène de la salle de classe fait vraiment artificielle), la musique d’une platitude épouvantable, etc. Cependant, l’histoire est intrigante, le scénario est somme toute efficace, et la distribution assure (Christensen et Sarsgaard forment un excellent duo). Un film agréable, mais formellement faible. (8/7/2022)

Southland Tales (Kelly, 2006). J’écrirai davantage sur ce film dans les prochaines semaines, mais il est clair que ce film est un grand film des années 2000s, peut-être même un chef-d’œuvre, certes mal compris à l’époque, qui s’avérera prophétique par la suite : le thought control du parti républicain, la montée des influenceurs, etc. Un équilibre parfait entre comédie scabreuse et moments de révélation tragiques qui offre à des acteurs la chance de briller par leur contre-emploi. Ambitieux, certes, baroque, sans doute, mais pas aussi décousu qu’on l’a décrit. (décembre 2022)

Teorema (Pasolini, 1968). Un étranger séjourne dans une famille bourgeoise italienne (le père, la mère, le fils, la fille, et la bonne), puis quitte, après avoir provoqué, chez chacun, une profonde transformation, unique, extrême, bénéfique ou mortifère – on est au-delà de la morale car l’expérience est, pour chacun, totalement subjective. Une exploration politico-religieuse sous forme de thèse allégorique qui fonctionne parfaitement en tant qu’œuvre d’art cinématographique. Un film d’une profondeur incroyable où, même si les convictions de l’auteur transparaissent avec une clarté presque naïve, un certain mysticisme demeure, peut-être dû à la maîtrise incroyable du medium que possède Pasolini. C’est une œuvre admirable, possiblement un chef-d’œuvre dans le sens universel du terme, et je m’en veux d’avoir pris tout ce temps avant de le voir. (21/3/2022)

The Adventures of Robin Hood (Keighley, Curtiz, 1938). C’est… particulier. Globalement, très bon, mais pour l’œil d’un spectateur de ma génération, j’avoue que les clichés, dans tous les départements de la production, sont plutôt douloureux… Et beaucoup de ces clichés proviennent justement de ce film – et vont se répéter encore et encore dans les productions cinématographiques, puis télévisuelles jusqu’à aujourd’hui. Souvent de manière parodique, mais aussi dans des œuvres « sérieuses ». Ceci dit, il y a quelques bons coups. Le Prince John de Claude Rains est splendide. Il est typé, mais Rains le joue avec suffisamment de retenue pour ne pas sombrer dans la caricature du super-vilain des serials de l’époque. Olivia de Havilland joue également straight, ce qui contraste avec l’exubérance presque satirique d’Errol Flynn (c’est à ce demandé à quel point il en était conscient…). Et si le matériel thématique de la trame sonore de Korngold demeure très conventionnel, ses orchestrations sont surprenantes, modernes, et ont très bien vieillies. On reconnait la filiation – avouée, totalement – avec John Williams dans les arrangements et la rythmique. (15/10/2022)

The Batman (Reeves, 2022). Une proposition franchement intéressante du fameux super-héros, franchement bienvenue après la triple déception signée Christopher Nolan – oui, le deuxième volet avait de bons moments – qui semble malgré tout avoir la cote encore aujourd’hui. Ici, Reeves s’intéresse à Batman en tant que détective qui affronte un bien intéressant monde criminel dont l’influence s’étend au plus profond du politique. Batman est dépendant de ses alliés, aussi, ce qui n’est pas souvent le cas, et permet à des personnages comme Catwoman, Alfred, mais surtout Gordon, - habilement interprétés, d’ailleurs – de prendre davantage d’importance. Bien qu’on étire un peu trop la sauce vers la fin, l’ensemble est plutôt réussi, dans l’esprit des romans graphiques de Frank Miller qui ont réinventés le personnage il y a trente ans. (24/6/22)

The Damned (Visconti, 1969). Que dire sur ce film? Une œuvre sur l’inhumanité, la monstruosité, que j’ai trouvée beaucoup plus insoutenable que le Salo de Pasolini. Visconti semble d’abord se questionner sur la manière de concevoir sa propre homosexualité, en donnant à son amant du moment le rôle de celui qui s’avèrera le protagoniste principal. On le présente d’abord dans un spectacle de travesti. Donc, qu’est-ce que l’homosexualité? Est-ce une perversité (Visconti était très attaché à la doctrine catholique)? Une simple préférence sexuelle? Un « jeu »? Mais bien vite, on délaisse ce questionnement, en s’enfonçant dans la mise en scène de véritables perversions. Car ce protagoniste qui aime jouer à Marlène Dietrich n’est pas nécessairement homosexuel, et ses réelles déviances sont tout autre : il se jette tout à fait volontairement dans la soif de pouvoir économique, l’avarice, l’ambition, l’égotisme, mais aussi la pédophile, l’inceste, la débauche… qui ne sont rien comparé à la plus vicieuse, perfide et maudite de toutes les perversions : le totalitarisme, et dans ce cas particulier, le nazisme. Celui-ci comprends toutes les perversités, toutes les tares de la condition humaine, et les ordonnent afin d’en faire un instrument de pouvoir et une spirale de mort. Ce film est une chute, une démonstration presque algébrique de la création de la monstruosité, de la plus pure déshumanisation. (1/2022)

The Heroic Trio (To, 1993). Une pulp comedy non sans intérêt, mais qui s’essouffle dans son propre esprit comique en plein climax. Le visuel est superbe et les gags fonctionnent bien, pour l’ensemble – on aurait pu mettre moins de pathos dans la musique déjà un peu trop synthétique. On en donne un peu trop au final, mais Maggie Cheung est hilarante en chasseuse de prime grande-gueule. (27/8/2022)

The Night Porter (Cavani, 1974). Un autre film sur la folie du troisième Reich, peut-être moins épique que The Damned, mais dont le propos n’en demeure pas moins fort : la perversion nazie est mortifère, monstrueuse, au sens où elle corrompt toutes les relations et entreprises humaines, même dans la manière qu’on y résiste – Lucia est condamnée à souhaiter la présence de son ancien tortionnaire, malgré sa violence et sa folie. L’ambivalence du propos est claire et mise en scène par une sorte de poésie brutale qui rend malheureusement le dernier acte quelque peu redondante. Le film demeure puissant, malgré ce défaut. (4/2022)

The Watermelon Woman (Dunye, 1996). Un monument du cinéma queer, ce film traite de l’absence de représentation, sous la forme d’un faux documentaire à propos d’une actrice afro-américaine lesbienne qui n’existe pas. Sur un mode élégiaque, la cinéaste se crée une filiation cinématographique, dans laquelle elle s’insère, afin de contrer le fait que sa propre condition d’artiste queer a été négligé par ceux qui ont écrit l’histoire (dans ce cas-ci, l’histoire du cinéma). En parallèle, le film propose un récit se déroulant dans le milieu lesbien de Philadelphie avec des personnages charismatiques et attachants qui tournent autour d’une version fictionnelle de la cinéaste elle-même. Un film important. (8/2022)

YUL 871 (Godbout, 1966). Alors que les films québécois de fiction, à la naissance du cinéma moderne, sont clairement imprégnés de l’esthétique du cinéma direct – une invention toute québécoise – voilà Jacques Godbout qui délaisse la caméra documentaire et adopte une approche beaucoup plus en phase avec l’Hollywood qui inspira la Nouvelle Vague. Visuellement, ce film est captivant, mais ça ne s’arrête pas là : cette tranche de vie d’un voyageur européen à Montréal est franchement bien construite, somptueusement mise en scène, et tente, du moins discursivement, de créer un pont entre Montréal et le reste du monde. Affectivement et historiquement. Superbe. (7/2022)

Critiques littéraires – 2022

Capitalisme et schizophrénie : L’anti-Œdipe. (Gilles Deleuze, Félix Guattari, Minuit, 1972). Une importante et virulente déconstruction du cheval de bataille de Freud, le mythe d’Œdipe, que l’on juge hautement problématique, autant d’un point de vue thérapeutique qu’idéologique. On montre le dommage de cette obsession freudienne dans l’optique d’une compréhension du monde toujours influente encore aujourd’hui, en psychologie, dans l’art et les sciences humaines. En partant du principe marxiste de production, Deleuze et Guattari développe leur vision extrêmement intéressante du désir, et si, pour y arriver, ils y vont de quelques raccourcis historiques un peu forcés, la mise en application dans ce qu’ils appellent la schizo-analyse devrait s’enseigner dans les départements de psychiatrie et de psychologie aujourd’hui. Mon expérience avec les troubles de l’esprit me pousse à croire que l’ambition thérapeutique de cet ouvrage pourrait en aider plus d’un. Deleuze s’est dit déçu que ce bouquin n’aie pas été plus influent. J’espère qu’on finira par le redécouvrir très prochainement. Toute ma formation et mon histoire personnel m’a préparé à ce livre que je désirais lire depuis plus de 20 ans. (Terminé en décembre 2022)

Galaxy Express 999 (« Premier voyage », Matsumoto, 1978-1981). Le chef-d’œuvre de Leiji Matsumoto. Chaque chapitre se lit comme une aventure d’apparence naïve, simpliste, mais se délecte comme un poème. Rarement Matsumoto n’offre de réponse aux enjeux de la condition humaine qu’il évoque : il semble préféré stimuler la réflexion. Peu d’épisodes mauvais. Pour son ensemble, Galaxy Express 999 est véritablement un monument de la littérature jeunesse. (terminé en juin 22)

Kara and the Sun (Kazuo Ishiguro, 2021).
Dès les premières pages, Ishiguro nous démontre sa grande maîtrise du langage : le personnage titre est clairement définie par sa narration. Le soliloque est juste – et ne déraillera jamais du roman, ne montrera jamais le moindre signe de faiblesse – et les dialogues entre AFs et leur Manager appuie la description plutôt limité du monde futuriste et humainement aseptisé que présente le récit. L’auteur semble vouloir concentrer l’essentiel de son roman sur les relations humaines : les relations mère-enfant, celles entre ex-amoureux, et pendant un certain temps, j’ai eu l’impression qu’il s’agissait-là du cœur du roman : les problèmes humains dans un monde post-humain. Mais pour autant que l’art de l’auteur serve à la perfection son personnage principal, il me semble incapable d’insuffler à ses autres protagonistes une profondeur qui les rendrait signifiants. Les dialogues sont particulièrement atroces tant ils sont sans substances, ce qui est dommage car leurs rôles narratifs n’est jamais superflus, ou forcés. Je me suis demandé si le point de l’œuvre était justement de montrer la société future socialement vide, mais la structure discursive du récit, qui touche à des thèmes très communs dans la science-fiction – il les passe systématiquement tous en revu, de l’intelligence artificiel à la religion, de l’ingénierie génétique à la recherche de l’âme pure – depuis l’orée du XXème siècle, finit par tomber à plat et n’amène rien de nouveau à toute forme de réflexion. D’autres auteurs ont beaucoup mieux traité ce sujet, bien qu’il faut reconnaître l’effort d’Ishiguro d’avoir choisit d’amener ce transhumanisme futuriste vers le drame social tout simple. Malgré tout, décevant. (Terminé en mars 2022)

Le nouveau (Keigo Higashino 2009, traduction de Sophie Rèfle 2021).
Superbe roman à tiroirs d’Higashino mettant en vedette l’astucieux et très humaniste inspecteur Kaga. J’avais vu la série télé de 2010, et avait adoré, bien qu’elle porte les stigmates propre au dorama japonais. Le roman, cependant, est une œuvre de littérature policière magistrale beaucoup mieux tempérée, qui observe et rend compte des grands thèmes classiques de la société japonaise– conformité, humilité émotive, cadres familiaux rigides – en les démystifiants, en quelque sorte. Les habitants de ce quartier de Tokyo qu’on nous présente sont imparfaits, voire vains, mais il suffit d’une étincelle pour que ne surgisse, l’espace peut-être d’un instant, leur profonde humanité. Kaga, bien sûr, n’est jamais loin de ces moments. Excellent. (Terminé en septembre 2022)

Les Mystères de Hobtown : L’affaire des hommes disparus (Kris Bertin, Alexander Forbes, 2017, version française 2020)
Illustrée de manière éloquente, dans un style figuratif détaillé mais frénétique, le récit nous plonge dans l’enquête d’un groupe d’étudiants habitant un petit village de Nouvelle-Écosse (on suppose) sur une série de disparitions. Complots, une force surnaturelle étrange, et une malédiction multi-générationnelle s’en suivent, dans une suite de péripéties qui rappelle à la fois Twin Peaks et Scooby-Doo! Si la mise en case est à l’occasion confuse, la richesse de l’univers diégétique, l’alternance de familier – voire de clichés stylistiques –, et de rebondissements finement orchestrés, nous rapproche des héros de cette histoires, ces jeunes hommes et femmes qui luttent contre une force obscure et incompréhensible. Agréable et mystérieux. (Terminé en janvier 2022)

Lightfall, tome 1 – La dernière flamme (Tim Probert, traduit par Fanny Soubiran, 2021).
La force de ces BD, c’est les personnages. Les deux protagonistes, aussi classiques soient-ils, fonctionnent à merveille, et leurs alliés – même ceux aux motivations moins nobles – sont tout aussi mémorable. On préfère garder l’opposition mystérieuse, et l’on se sert d’antagonistes génériques pour s’assurer de garder le lecteur en haleine, ce qui pourrait finir par devenir redondant à la longue. Il est d’ailleurs clair que l’auteur désire garder le plus possible l’histoire de son monde secret, ce qui ne peut que faire monter nos attentes – une situation dangereuse pour l’auteur. Si les punchs que nous dévoilerons les tomes subséquents ne sont pas à la hauteur, la déception sera d’autant plus grande. Pour l’instant, en tout cas, les prémisses sont intrigantes. Prometteur. (Terminé en juillet 2022)

Nombreux seront nos ennemis (Geneviève Desrosiers, 2019/1999)
Germes prometteurs d’une poésie qui n’atteindra tragiquement jamais sa maturité. Je m’en veux de ne pas avoir été plus touché par sa plume. (Terminé en juillet 2022)

Pantagruel (François Rabelais, 1532, adapté par Guy Demerson chez Points).
Outre la richesse du propos, les accents scabreux, sa philosophie humaniste, sa richesse historique, culturelle et langagière, je m’aperçois que Pantagruel est avant tout un très bon roman d’aventure. Rythme endiablé est ici le terme juste, alors que le récit ne s’essouffle jamais, et son comique décapant qui évoque immédiatement une filiation vers Monty Python, n’hésite pas à plonger dans l’absurde en plein dénouement! Ce roman, court mais si riche, est tout simplement prodigieux, aussi grandiose que bien des théories auxquelles il a donné naissance, souvent, je soupçonne, dans l’incompréhension. Le XVIème siècle était peut-être moins radical dans son conservatisme qu’on l’a longtemps pensé. Cela mérite réflexion. Et si certaines conceptions de l’auteur s’avèrent quelque peu rétrogrades, d’autres annoncent résolument le meilleur des temps qui suivirent. L'édition annotée chez Points permet de consulter le texte d'origine, et met certaines subtilités en contexte. (Terminé en novembre 2022)

Que notre joie demeure (Kevin Lambert, 2022).
Un pari stylistique audacieux, tenu jusqu’aux dernières lignes, qui fait judicieusement usage d’un stream of consciousness soutenu. Un roman social habilement construit, qui maintient élégamment le propos éditorial et une certaine objectivité de caractères. On saute d’un point de vue à l’autre, sans jamais se perdre, et au lieu de marteler une opinion, c’est avec l’ébauche d’un questionnement fécond que l’on se retrouve à la dernière page. Je le mets sur ma liste de classiques potentiels. (Terminé en octobre 2022)

Réinventer l’amour (Mona Chollet, 2021)
Le titre de ce livre est quelque peu trompeur, il correspond en fait, à un projet de la part de l’autrice, un projet nécessaire dans le monde d’aujourd’hui, fruit des efforts de décennies de luttes féministes. Et à cet égard, Mona Chollet nous présente une synthèse approfondie des dernières avancées de la cause féministe depuis #metoo. Pour le ou la néophyte dans ce domaine de pensée, et surtout pour les hommes qui désirent comprendre à quel point la critique féministe des pouvoirs en place est toujours d’actualité en 2021, cet ouvrage est plus qu’essentiel. En fait, on devrait carrément en étudier certains passages dans les classes du secondaire. Pour les féministes au cœur de leurs travaux, cependant, force est d’admettre que ce livre laisse sur son appétit : on pose les bonnes questions, on pave la voie à certains éléments de réponses, mais on n’ose guère se commettre à la révolution que l’on appelle, une révolution on ne peut plus nécessaire – c’est le mot d’ordre ici –, spécialement en cette ère de la montée inquiétante de la pensée ultraconservatrice. (Terminé en janvier 2022)

Spectacles of Empire : Monsters, Martyrs, and the Book of Revelation (Christopher A. Frilingos, 2004).
Ce livre offre une analyse comparative de l’Apocalypse de Jean avec la culture du « spectacle » propre à la société qui l’a produite – l’empire romain d’Orient. Il s’agit d’une recontextualisation d’un texte qu’on a longtemps compris comme un rêve émancipatoire, mais qui révèle, paradoxalement, les mêmes stigmates, les mêmes vices, que la Rome tant haïe. Au passage, l’auteur dénote la complexité du rapport à l’identité de genre que l’on retrouve dans le texte de Jean en comparant son imagerie à celle de certains récits fictifs de l’époque. Un ouvrage fort intéressant, bien qu’il m’ait laissé sur ma faim. Le texte appelle, il me semble, une analyse plus poussée des implications socio-historiques du livre de Jean, et même un regard critique sur le développement du christianisme qui devient lui-même impérial : un fait ironique si l’on s’en tient aux paroles de Jésus… mais n’était-ce pas ce qui était souhaité, ou fantasmé par l’auteur de l’Apocalypse? (Terminer en février 2022)

The Cyborg Manifesto et Companion in Conversation (with Cary Wolfe) (Donna J. Haraway, dans Manifestly Haraway, University of Minnesota Press, 2016). Un important texte féministe qui cherche à redéfinir le féminisme d’un point de vue marxiste. Dans la figure du cyborg, elle explore la sociologie et l’histoire de la condition marginale, afin d’en esquisser une mise en pratique : l’écriture liminale. Elle envisage ainsi l’écriture des marges, des femmes immigrantes ou filles d’immigrantes, des « autres », qui doivent, selon l’autrice, construire sur cette condition d’étrangère, afin de créer de nouveaux discours, de nouveaux mythes, au-delà des genres et de catégories strictes. Le but en est rien de moins que de changer la société, qui a longtemps réprimé la différence, et continue de le faire, souvent de façon institutionnalisée. Dans sa conversation avec Wolfe, Haraway explique comment sa réflexion en est rendu à dépasser les genres de l’espèce humaine afin d’en étudier les relations avec les autres espèces. Elle souhaite également déboulonner le tabou de la mort, qui fait partie des systèmes biologiques, ainsi que travailler la relation de l’humanité avec la terre elle-même. Pour Haraway, et j’abonde en ce sens, il est urgent de concevoir l’existence comme un réseau rhizomatique de systèmes ouverts. (Terminé en décembre 2022)

The Ghost in the Shell (攻殻機動隊 THE GHOST IN THE SHELL, Masamune Shirow, 1989-1991)
Le manga phare du cyberpunk, dont l’adaptation cinématographique de Mamoru Oshii (le film éponyme de 1995 et sa suite, Innocence, de 2004) sont deux chefs-d’œuvre absolus de la science-fiction, est en soit un projet ambitieux qui fait la chronique des préoccupations sociopolitiques de la génération de son auteur: l’écologie, la politique internationale, la guerre « moderne », la cybernétique, la réalité virtuelle, les possibilités d’internet, la philosophie, la sexualité, la drogue, la violence, et bien plus! L’édition « perfect » de Glénat censure une page et omet une scène érotique du chapitre « Junk Jungle », mais cela ne gâche en rien l’œuvre – le but de la séquence originale me semble plutôt provocatrice, voire racoleuse. L’humour cabotin typique confère au projet une couche de satire qui ne sombre pas dans le cynisme, et Shirow possède ce trait rare de nous rapprocher du plus secondaire des personnages. Une grande œuvre! (Terminé en janvier 2022)

Visions of Gerard (Kerouac, écrit en 1956, paru en 1963, traduction de Jean Autret)
Un hommage infiniment tendre à son frère, d’une religiosité des plus nobles, d’une sensibilité au-delà de tout lieu commun, de toute superficialité monotone. Écrit comme un stream of consciousness que la traduction de Jean Autret rend plus ou moins bien – je lis rarement des traductions de littérature anglo-saxonne, mais je dois m’y arrêter ici : la tentative de capturer la légèreté du style de Kerouac est louable, mais finit par alourdir le texte de manière artificielle. Une traduction aux accents québécoise/canadienne française aurait été beaucoup plus pertinente, compte tenu surtout de l’héritage de la famille Kerouac – ce roman est plus une suite d’impressions, un slice of life, qu’un intrigue bien taillée, ce qui aurait été de toute façon superflu et injustifié. Un très beau roman. (Terminé en juillet 2022)

Saturday, January 15, 2022

Critiques littéraires 2021

C’est le Québec qui est né dans mon pays (Emanuelle Dufour, 2021)
Œuvre coup de poing qui, malgré son didactisme qui frôle la condescendance, me force à réévaluer toutes mes considérations politico-historique. Bref, je dois réfléchir sur mes positions, et c’est, je crois, le but de l’autrice que de faire réfléchir. Habilement montée, élégamment illustrée, le but de cette bande-dessinée est claire et précis, et je crois que son but est atteint haut la main. (Terminé en août 2021)

Il est strictement défendu de boire en studio - 30 ans de bénévolat à CISM (Alexandre Fontaine Rousseau, 2021)
Anecdotes savoureuses, mais surtout instructives sur la célèbre « station la plus à gauche sur la bande FM », et les débuts de plusieurs figures marquantes du journalisme et des communications québécoises. Une chouette lecture sur une institution qui ne devrait jamais perdre de vue sa ligne éditoriale, ni son héritage. (Terminé en novembre 2021)

Indien stoïque (Daniel Sioui, 2021)
Dans une prose jouale extrêmement bien construite, Daniel Sioui fait beaucoup plus que ce qu’il annonce d’emblée, c’est-à-dire exprimer sa colère par rapport à l’histoire des peuples autochtones du Canada depuis la Nouvelle-France. Parfois avec un enthousiasme utopiste, parfois avec une lucidité constructive, il pose les fondements d’un avenir politique réaliste pour les Premières Nations, sans aucune prétention : ici, Sioui n’est ni essayiste, ni sociologue, ni acteur sur la scène politique. Il est un écrivain – il n’aimera pas l’étiquette! –, un observateur qui insiste pour d’importants changements culturels, économiques et politiques au sein de la structure même du Canada. (Terminé en octobre 2021)

Le démon de l’île solitaire (孤島の鬼, Kotō no oni, 1929-30), Edogawa Ranpo
Ici, ero guro nansensu (érotique, grotesque, non-sens) prends tout son (sic) sens. Et fait de Ranpo le maître du genre. Si l’auteur étire parfois un peu trop le suspense de certaines situations plutôt banales – ce qui arrive en fait deux fois, je dirais –, cela tient plus de la publication d’origine en feuilleton que d’un manque de technique. De toute façon, c’est plutôt l’exploration, dans la psyché humaine, de ce qui était, à l’époque, considéré comme transgressif – et certaines lubies des personnages, qui s’apparentent au body horror, me semblent bien de réelles perversions – qui est intéressante ici, plus que l’enchaînement de mystères que forment l’intrigue. Si Ranpo cite sans gêne ses influences, il démontre qu’il est capable de bien plus que les émuler : il les intègre à une œuvre qui lui est délicieusement personnelle. (Terminé le 1/6/2021)

L’incroyable Andy Kaufman (Box Brown, 2018, version française 2021)
La vie d’Andy Kaufman est intrigante : un génie de la performance, un provocateur malgré une sensibilité qu’il ne parvient jamais à cacher réellement, un être profondément troublé aux lubies étranges, et une fin malheureusement tragique. Mais ce roman graphique, malgré la richesse de son sujet, est unidimensionnel et on ne sait pas exactement ce que l’auteur cherche à démontrer. S’il essaie de nous présenter un personnage aux pulsions conflictuelles du soi, cela tombe à plat. On se concentre surtout sur la lutte : ses fantasmes mis en scène dans sa « lutte féminine » et ses manigances en tant que « méchant » dans la lutte professionnelle. Mais aucune ligne directrice. Toute œuvre biographique, même une autobiographie, ne peut être objective. Comme le véritable cinéma documentaire, un point de vue intrinsèque doit être trouvé sinon, on tombe dans la platitude de reportages sans intérêts. La seule pointe de l’ambivalence du caractère de Kaufman arrive à la toute fin, et semble être là pour terminer le tout machinalement sur une note heureuse. Décevant. (Terminé le 17/6/2021)

L’Ombilic des limbes et Le Pèse-Nerfs (Antoning Artaud, 1925)
La poésie d’Artaud est un réseau architectural d’une extraordinaire minutie. Ses descriptions de la maladie psychique ne peuvent que former une œuvre d’art, mais en même temps, elles précisent la nature de la souffrance intérieure, ce qui donne une valeur presque scientifique au texte, malgré que la science seule ne sera probablement jamais capable de bien rendre compte de l’esprit. (Terminé en août 2021)

Mille secrets mille danger (Alain Farah, 2021)
Ce roman semble à ce point un projet personnel qu'il m'est difficile de le critiquer. Si les procédés stylistiques sont justes et élégants, l'auteur se perd à plusieurs reprises dans des détours formels qu'il aurait pu aisément couper. Au profit des personnages, d'ailleurs, qui sont opaques et, surtout en ce qui concerne les 2 personnages féminins, manquent définitivement de profondeur. Quand on comprend l'importance de l'une d'entre elle, on ne peut être que déçu de ne pas avoir creusé davantage la relation avec le narrateur. Les personnages qui s'en sortent le mieux me semblent être les plus âgés : le père, le dentiste et la mère. Quand au narrateur, prétendument l'auteur même, l'autodérision finit par prendre, à la longue, un ton apologétique. Ce n'est pas un mauvais roman, mais il m'apparait plutôt inachevé.

Quand je ne dis rien je pense encore (Camille Readman Prud’homme, 2021)
Une poésie intérieure. Passer par l’intime pour atteindre l’ailleurs? Le cosmique? Peut-être. Mais c'est d'abord une cartographie de l'âme, celle de la poète, mais aussi la mienne, même si on ne se connaît pas. Un recueil fameux. (Terminé 10/11/2021)

Rendez-vous secret (密会, Mikkai), Kôbô Abe, traduit par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura.
Je dois étudier plus en détail l’œuvre. Ce que je comprends, c'est que Kobo semble faire un usage magistral de la spécificité grammaticale de la langue japonaise en ce qui concerne le sujet. Sa critique du monde médicale transparait dans "Rendez-vous secret", et cette notion d'anti-évolution, qui s'anime dans l'humanité me parait comme une réflexion des grands thèmes kafkaïens poussé à son extrême. Kobo m'apparait comme fasciné par l'hyperbole, l'extrême sensibilité de la perception humaine. Est-ce que son pessimisme résulte d'un dégoût d'une humanité qui l'aurait déçu? Ou d'un profond regret pour ses comparses devant un absurde ravageur? Et que penser de la sexualité du protagoniste, qui semble résister aux pulsions propres à la masse, mais se veut plus ambivalent aux désirs de la « fille de la chambre huit »? Tout cela est difficile à déterminer, mais le plaisir de ce roman bien particulier est d’y réfléchir. Au fond, peut-être suis-je trop sensible et ne peux supporter le regard détaché du romancier face à ses personnages. Peut-être est-il un habile dénonciateur du jeu politique. Peut-être est-ce tout ce que je viens d’énoncer à la fois! (Terminé le 29/6/2021)

Stalker (Pique-nique au bord du chemin) (Arkadi et Boris Strougatski, 1972. Traduit par Svetlana Delmotte).
Le roman qui a inspiré le grand film d’Andrei Tarkovski (et dont Folio lui a préféré le titre au détriment de l’original) ne saurait être plus différent : malgré la similarité de certains thèmes, seul la prémisse de base est conservé par le cinéaste et, au contraire du rythme lent et contemplatif que lui donne ce dernier, le roman des frères Strougatski est hyperactif, sans temps-mort, et ce malgré d’importants changements de tons et de perspectives entre les chapitres, ce qui rend le suspense une affaire autant narrative que formelle ou thématique.
Le texte français traduit l’argot russe en argot franchouillard, et les personnages s’expriment à la manière d’Arletty! Le résultat est déroutant, et provoque un double exotisme au lecteur non-français, qui n’a jamais été recherché par les auteurs. Mais après tout, Gallimard est un éditeur français…
Au final, un roman qui me semble important dans l’histoire de la littérature de science-fiction, de par son ambition discursive et son inventivité stylistique. (Terminé le 3/10/2021)

Tableau final de l’amour (Larry Tremblay, 2021)
J’ai dû m’habituer à l’écriture de Tremblay. La débauche du narrateur, ce Francis Bacon fantasmé, m’apparut d’abord artificiel, juvénile. Mais au fil des pages, une certaine sympathie pour le personnage s’est développée, de sorte qu’à la conclusion, je savais que l’allais m’en ennuyer. Une œuvre intéressante dont l’impudeur est franche bien qu'à certains moments, immature. Mais peut-être en est-ce sa plus grande vertu. (Terminé le 9/9/2021)

Watchmen, écrit par Alan Moore, illustré par Dave Gibbons. 1986-1987
Le super-héros est mort avec la première adaptation de Superman par Richard Donner en 1979 – par ailleurs un très bon film. Watchmen en est un cercueil élégant et implacable : on ne peut pas revenir en arrière après cet œuvre. Rarement les ruminations nietzschéennes de la culture populaire ont été utilisées de manière aussi admirable, et le nihilisme postmoderne n’a jamais été aussi multidimensionnel. Les thèmes classiques, traités richement, sont élevés par une introspection du médium qui ne peut qu’en faire un chef-d’œuvre du genre. Il semble que seuls les comics qui ont acceptés et intégrés la mort du super-héros classique recèlent d’une pertinence indubitable après Watchmen. (Terminé le 10/8/2021)