5-25-77 (Johnson, 2022). Difficile d’être négatif devant un projet aussi personnel. Mais le film autobiographique de Patrick Read Johnson comporte tous les défauts que l’on associe à un « premier film » : l’auteur a voulu en mettre trop. Trop d’artifices, trop de péripéties, trop de clins d’œil… Trop. Ce qui en fait un film beaucoup trop long, et malgré toutes les bonnes intentions du monde, malgré les excellentes performances de la distribution, l’expérience est surchargée et au final, ennuyeuse. (décembre 2022)
8½ (Fellini, 1963). Sur les bancs d’école, je n’avais jamais accroché à Fellini. Le fait de présenter ses films dans les hideux doublages français n’a probablement pas aidé. Il aurait fallu mettre en contexte, montrer ce que le cinéaste osait, à l’époque – outre sa critique des mœurs : le film dans le film qui finit par déborder du film… la vie fantasmatique qui s’imbrique dans un même espace, dans un même cadre. Le Carnaval, le festif, qui viennent dédramatiser un sujet très violent. Car Guido, interprété viscéralement par Mastroianni, est un être abject, un vampire qui dérobe la vitalité des gens – surtout les femmes – qui l’entourent. Et puis, il y a ce traitement presque anodin des théories jungiennes au cœur du drame, auquel je n’avais jamais vraiment porté attention… Bref, j’apprécie plus que jadis ce film, bien qu’il semble que je ne serai jamais un grand amoureux du maître italien. (18/11/2022)
A Fish Called Wanda (Crichton, 1988). Si la réalisation est beaucoup trop sobre, et la musique trop convenu, c’est le travail au scénario (signé du réalisateur et de John Cleese, également à la distribution) et ses grandes performances qui élèvent ce film au rang des meilleures comédies cinématographiques. Excellente étude du ridicule qui dépasse amplement le contexte très britannique du récit. L’équilibre est parfait entre tendresse et burlesque, macabre et politique. Un pur bonheur, ce film. (5/11/2022)
A Chinese Ghost Story (Ching, 1987). Je ne connais pas assez l’histoire du cinéma hongkongais pour comprendre son oscillement entre son formalisme léché et son humour cabotin outrancier. A Chinese Ghost Story est une fusion de romance et d’horreur au kitsch hyperbolique qui frôle mais ne sombre jamais dans le mauvais goût. Un étrange film d’un courant que je ne connais pas assez. (12/11/2022)
Adieu Galaxy Express 999 (Rintaro, 1981). Beaucoup plus beau que le premier film basé sur le fameux manga de Leiji Matsumoto – sans doute dû à un plus gros budget. Les décors sont somptueux, l’animation plus raffinée, la musique, dans l’ensemble, beaucoup moins kitsch. Mais le scénario est faible et, essentiellement, raconte la même histoire que le premier film. De manière beaucoup moins inspirée. Cette suite est, pour ainsi dire, totalement inutile, et franchement décevante. (4-5/07/2022)
Agnès Varda. Dès Cléo de 5 à 7, on comprend qu’Agnès Varda maîtrise parfaitement le langage cinématographique, au point d’en expérimenter les frontières sans jamais tomber dans l’artificiel. Ses mises en scènes et cadrages rappellent Godard, sans le côté tonitruant et grandiloquent. Après le visionnement de deux de ses films, Cléo de 5 à 7 (1962), et Kung-fu master 1987), la cinéaste m’apparaît comme l’une des maîtres du septième art, en parvenant à atteindre un équilibre parfait entre un formalisme pertinent et un contenu riche en signifiance. Que ce soit la redéfinition de son identité – en temps réel!! – dans Cléo, où un regard au-delà de toute moralité dans Kung-fu – et c’est la réaction face à ce « pas » de trop qui est l’enjeu central du film –, Agnès Varda possède à la fois le détachement et la proximité nécessaire pour un cinéma aux proportions transcendantales. (13/3/2022)
Alice (Svankmajer, 1988). Impressionnant film d’animation qui revisite l’œuvre de Lewis Carroll avec une esthétique d’Unheimliche thématiquement et diégétiquement justifiée. Stop-motion d’une fluidité peu commune et d’une reproduction de mouvements remarquablement précise. Atmosphère méticuleusement contrôlée, hypnotique, qui cimente un ensemble particulièrement cohérent. L’imagerie est originale et ingénieuse. Singulier. (5/10 /2022)
American Psycho (Harron, 2000). Une satire de la culture yuppie des années Reagan plutôt intéressante malgré une cinématographie bien trop sobre qui vient presque gâcher une mise en scène très juste – le surjeu très pointu de Christian Bale n’est pas sans rappeler celui de Brent Spiner. Bien malgré tout. La scène des cartes d’affaire est hilarante et d’une cinglante précision. (9/7/2022)
Blade of the Immortal (Miike, 2017). On passe d’un combat à un autre, sans grand développement de personnage, et malgré une technicité étonnante, l’action incessante devient redondante à la longue. La musique de Kôji Endô est probablement l’élément le mieux réussi du film. (13/8/2022)
Britannia Hospital (Anderson, 1982). Ce film s’inscrit dans la tradition des sitcoms britanniques, peut-être par manque de moyen, mais une part est visiblement intention, de par le jeu caricatural de ses interprètes et son humour absurde, dont on pousse l’ironie et le cynisme à l’extrême. Tout y passe, dans ce film : les conservateurs, les progressistes, les syndicalistes, le patronat, les révolutionnaires, les politiciens et la monarchie, les scientifiques, les lanceurs d’alertes, l’influence mortifère de l’Occident en Afrique (et ailleurs)… Sans compter une sévère critique du transhumanisme. On en révèle le penchant fascisant avec plus de virulence que bien des œuvres dénonçant le concept! Avec quelques moments hilarants, ce film sévère laisse un arrière goût inquiétant quant à l’avenir de l’humanité. (4/2022)
Cloud Atlas (The Wachowskis, Tykwer, 2012). Un très beau film, dans une formule qui se retient à Hollywood par ses conventions (par exemple, le happy-end absent du matériel source), mais qui s’en éloigne quelque peu dans la forme. Bien sûr, plusieurs histoires montées en parallèles n’ont rien de révolutionnaire. Cependant, ici, on prend son temps, on installe méthodiquement les prémisses de chaque récit, quitte à perdre un temps le spectateur, jusqu’à ce que la charge narrative de chacune converge vers une finale plus que satisfaisante. Dommage que même la critique n’ait pas été assez patiente pour saisir l’effort.
Mais je dois avouer que je partage les réserves de nombre de groupes à propos des acteurs blancs qui incarnent des personnages coréens. Outre le fait que les maquillages sont franchement horribles, ce qui cause dès le départ un problème de représentation, il y a ce double standard qui ne s’applique qu’aux personnages coréens : aucun personnage noir n’est interprété par un acteur d’une autre ethnie dans le segment traitant de l’esclavage. Je comprends le concept de montrer que les « âmes », représentées par les acteurs qui jouent plusieurs rôles, ne connaissent aucune frontière ethnique ou de genre. Sur papier, c’est même très beau, et ça permet aux acteurs de démontrer l’ampleur de leur talent. Tom Hanks, par exemple, sort admirablement de ses rôles types de bons gars monotones. Mais le problème de la représentation demeure, et je pense que si on avait abandonné l’idée, ce film serait entré dans les classiques du XXIème siècle de par sa mise en scène raffinée et son ambition épique. Le leitmotiv de la tache de naissance aurait été tout aussi efficace à montrer l’universalité de l’âme sans créer de distanciation douteuse. Somme toute pas mal. (7/8/2022)
Drive My Car (Hamaguchi, 2021). Une étude de mœurs des plus intéressantes, une belle histoire qui n’est pas autant propulsé par une intrigue – à la base plutôt standard : le personnage doit affronter ses démons – que par ce qui est dit à travers chaque scènes. Car tout, dans ce film, passe par les dialogues. Comme le texte d’une pièce de théâtre, la parole incarne les personnages, et non l’inverse, ce que montre avec grand soin, en prenant un temps qui peut en rebuter plus d’un, toute ces scènes illustrant la méthode de travail du metteur en scène Kafuku, le protagoniste principal. Les personnages sont complexes, uniques, et c’est par la spécificité de leur vie que le récit progresse, que les personnages avancent et se réalisent. De belles scènes, touchantes non pas par sentimentalité, mais par la véracité de leur humanité, entrecoupées de la démarche de mise en scène, des auditions initiales à la pièce elle-même, pour sonder les cœurs esseulés. Un long préambule touchant à l’acte d’écriture, ainsi qu’au cœur dramatique de l’expérience humaine est nécessaire pour nous amener là où il faut afin de comprendre un film qui est, en fait, une expérience de vie. La réalisation est d’une sobriété désarmante, ce qui permet de se concentrer sur les acteurs et leurs mots. Le pari est réussi, mais ce n’est pas pour tout le monde. (29/1/2022)
Everything Everwhere All at Once (Kwan et Scheinert, 2022). À la question « peut-on faire du bon divertissement hollywoodien encore aujourd’hui? », ce film offre une piste de réponse. Au pseudo-tragédie plus ou moins gritty du MCU, l’idée du superhéros plonge à pieds joints dans ce que ce personnage est à la base : absurde! Et on embrasse l’absurde à forte dose de sci-fi en faisant usage de la plus hilarante et pertinente pseudo-science que j’ai entendu depuis longtemps. Les thèmes si important d’Hollywood : l’amour, la famille, sont traités avec grandiloquence mais ne sombrent jamais dans les bons sentiments par la persistance du danger au-delà de toute aberration d’happy-ends qu’on nous martèle habituellement. Ça rend le film franchement touchant, par moment. Et pour les cinéphiles, tous les tropes et les schèmes chers au cinéma moderne (et pas seulement de science-fiction) se font référer, de manière toujours intelligente et dérisoire, de Matrix (et de façon bien plus intéressante que dans la trilogie originale) à l’œuvre d’Hideaki Anno, celle de Wong Kar-Wai, en passant par à peu près tous les films de kung-fu – d’époque ou contemporains –, les vieux Star Trek, les films de Pixar… La distribution, dans son ensemble, est fantastique : les personnages – dans toutes leurs versions – sont habilement définis et attachants. Voilà, intelligence, escapisme et succès commercial peuvent être réunis, quand on se donne la peine. (21/5/2022)
Giliap (Andersson, 1975). On reconnait clairement le germe de ce qui deviendra le style propre au réalisateur, mais sans la grande maîtrise qui lui sera caractéristique. Le jeu de ses acteurs tend vers ce réalisme absurde qui sera sa marque, mais manque souvent d’assurance. Bref, ce film est une ébauche, et son plus gros handicap en est l’intrigue – le dernier acte est ridiculement prévisible et tombe à plat. Fort heureusement, le réalisateur se débarrassera presque totalement des intrigues flagrantes lors de ses longs métrages subséquents. Car Andersson est meilleur à filmer des personnages qui sont soit inconscients de leur propre condition, soit en profond questionnement existentiel. (10/9/2022)
Glass Onion (Johnson, 2022). Une nouvelle enquête du détective Benoît Blanc qui s’avère digne du grand film qu’avait été la première. Pas aussi transcendant, cependant : Rian Johnson semble avoir de la difficulté à filmer les grands espaces que lui offre son île paradisiaque, il revient au ton baroque de son pourtant excellent Last Jedi, mais malgré ce petit défaut, le plaisir à regarder son détective demeure le même. Excellent divertissement, brillant et inventif. (25/12/2022)
Hereditary (Aster, 2018). Bon, Midsommar m’avait grandement déçu. Outre l’excellente performance de Florence Pugh, l’œuvre ne s’avérait au final qu’un ramassis de clichés et de légendes urbaines historiques sur les pratiques païennes (mais pas que) en Europe du nord, en plus d’une psychologie totalement absurde de la plupart de la distribution. Il ne restait que le style, lui plutôt original, mais ça ne rachetait pas l’ensemble. Hereditary utilise aussi le motif de la société secrète et le thème du temps cyclique manipulé par des conspirationnistes, mais à une échelle beaucoup plus réduite, ce qui en augmente la vraisemblance et l’efficacité. Structurellement, le scénario est bien construit, mais la mise en scène manque de punch dans son développement. Forte heureusement, la finale est une cascade de séquences horrifiques et bizarres qui est, à mon sens, fort réussie. Mais les clichés et la recherche historique demeure malgré tout trop superficielle – les séances de spiritisme risquent de rendre mal à l’aise seulement les believers – ce qui semble être la faille principal de ce cinéaste dont le formalisme parfois mal contrôlé demeure pourtant intéressant. (29/10/2022)
Hereditary (Aster, 2018). Well, Midsommar was a disappointment for me. Despite Florence Pugh’s excellent performance, the film was built on too many clichés and urban legends from the pages of history books about dubious practices in old Northern Europe (mostly attributed to pagans). Like Midsommar, Hereditary also uses the motifs of cyclical time and secret societies pulling the strings, but on a much reduced scales, which does make it easier to believe and much more effective. Structurally, the script is well built, though the mise-en-scene does wander a bit in the development part. However, the finale offers a succession of really horrifying and bizarre sequences, which are really powerful. But the clichés and superficial use of historic data still hinders the overall effectiveness. The séance stuff is bound to affect only “believers”, for instance. This too much light-heartedness in research seems to be the main flaw of an otherwise really gifted filmmaker.
Hôtel du nord (Carné, 1938). Si le scénario est moins élégant que ceux de Prévert, le film demeure finement mis en scène. Louis Jouvet, et surtout Arletty, offrent d’incroyables performances qui valent à elles seules le visionnement. Sans être un chef-d’œuvre, un film réussi. (9/2022)
House (Obayashi, 1977). Superbe comédie d’horreur, baroque et cabotine, qui utilise à peu près tous les trucages photographiques disponibles à l’époque, pour créer une ambiance à la fois kitsch et surréaliste, par moment parodique. Un film profondément japonais, où l’on pousse les expressions commerciales à l’extrême, pour en faire de l’art. Ainsi, la muzak devient « noble », tout comme le soap opera – le « dorama », ou le film d’horreur grand public. C’est franchement réussi, et Obayashi réussit même à y insérer une critique antimilitariste – le cinéaste est natif d’Hiroshima. Les images sont magnifiques, souvent montées à partir de composite de différents modes de trucage : photographie standard, utilisation de mattes et de maquettes, animation, stop-motion, etc. Voilà ce que j’appelle de « belles images », et non pas les chimères pompeuses que l’Hollywood d’aujourd’hui offrent afin d’attirer les foules dans les salles IMAX! Et pourtant, je le rappel, House est un film foncièrement commercial, mais également, et c’est sa force, subversif au sens le plus noble du terme. Une impressionnante prouesse! (4/2022)
Il Decameron (Pasolini, 1971). J’avais adoré The Canterbury Tales, avant de voir en Teorema le triomphe absolu de Pasolini. Je dois admettre qu’Il Decameron m’a laissé sur ma faim, malgré quelques très bonnes séquences. Il m’est impossible de revenir sur ce film avec un semblant d’objectivité. Je devrai le revoir, éventuellement. (4/2022)
It Must Be Heaven (Suleiman, 2019). Suleiman fait du slapstick minimaliste intellectuel, et parvient à le faire fonctionner avec classe. Ses observations sont riches en matériel discursif, parfois cinglantes, souvent subtiles. La comédie désamorce la haine, mais conserve le tragique de la condition humaine et des conflits au Moyen Orient, dont l’histoire nous est savamment cachée depuis si longtemps, ici en Amérique. (21/5/2022)
James Joyce’s Women (Pearce, 1985). Écrit et interprété par Fionnula Flanagan, ce téléfilm se targue d’une sobriété laissant toute la place aux fortes performances de sa conceptrice. Intrigante adaptation d’une pièce de théâtre sur la vie des femmes, les véritables comme les fictives, dans la vie de James Joyce. On en vient à se demander comment les tableaux ont pu être joués sur scène tant leur enchevêtrement à l’écran semble organiques. (27/8/2022)
Jeremy (Barron, 1973). Un slice-of-life à propos d’un premier amour pour un couple adolescent. Aucun conflit n’intervient entre les protagonistes, qui vivent les événements avec sincérité et grâce. Même le nœud dramatique, qui provient de l’extérieur du couple amoureux, « arrive », simplement, sans être forcé par un dispositif narratif superflu. Si la mise en scène est parfois trop « relâchée », au final, c’est le caractère intime de l’expérience qui triomphe. La véritable faiblesse de ce film est sa musique originale, beaucoup trop lyrique et franchement kitsch. (6/3/2022)
La bataille d’Alger (Pontecorvo, 1966). Quel film! On fait entrer l’esthétique du néoréalisme italien dans la modernité dans ce qui est un grand film politique, et probablement le plus grand film sur la Révolution jamais produit. La caméra documentarisante réalise la prouesse de paraître, à plusieurs reprises, comme de réelles images d’archive, et le scénario laisse entrevoir une certaine neutralité à laquelle on ne s’attend pas d’emblée. Le parti pris pour les révolutionnaires est évident, mais malgré mon biais qui abonde en ce sens, je crois réellement que j’ai regardé rien de moins qu’un chef-d’œuvre, au sens universel du terme. (15/1/2022)
L’argent (Bresson, 1983). Que dire sur ce film qui n’ait pas été dit, autre que partager les éloges qui semblent faire consensus? Il s’agit, en fait, d’un des films les plus sombres de Bresson, l’histoire d’une déchéance entraîné par un crime dans un monde où la malhonnêteté est omniprésente, et où même les envolées justicières n’ont comme cause qu’une impulsion égotiste (voir le personnage de Lucien). La technique n’a jamais été aussi contrôlée, chez Bresson, et le jeu impersonnel de ses non-acteurs ne fait que renforcir, dans la diégèse, l’indifférence profonde du monde. (15/1/2022)
La vie heureuse de Léopold Z (Carles, 1965). Une journée dans la vie d’un petit entrepreneur montréalais. Ce film, outre les liens affectifs qu’il présente, prend pour sujet le Montréal de la Révolution tranquille. On peut y déceler l’ascension de la métropole à la modernité, les interactions entre classes sociales, et les aspirations bien humaines des citadins, à la jonction entre le politique et l’intime. Un très beau film qui démontre tout le talent et la sensibilité du cinéaste. (7/2022)
Le chat dans le sac (Groulx, 1964). L’un des premiers films de fiction moderne du cinéma québécois, faisant un remarquable usage de cette esthétique documentarisante qui lui sera longtemps associée. On en est au balbutiement de ce style particulier, et le film est par moment plutôt maladroit, sans pour autant compromettre sa valeur – il se démarque particulièrement de la Nouvelle Vague française, tout en lui étant ouvertement redevable. J’ignore si le but de Groulx était de montrer les dangers de la contemplation intellectuel, mais c’est le sentiment que j’en garde : le protagoniste masculin est d’une antipathie peu commune, ce qui rend cette longue, mais combien puissante scène où sa compagne s’en désolidarise, cathartique et libératrice. Car si le manque d’intérêt apparent de la protagoniste pour la politique semble d’abord un point faible, le film finit par lui dévoiler une maturité beaucoup plus grande que son compagnon dont le nihilisme pousse finalement à la neurasthénie. (8/9/2022)
Le Corbeau (Clouzot, 1943). Un drame solide signé Henri-Georges Clouzot, sombre et pessimiste, qui explore les effets de la paranoïa et de la jalousie. La distribution est solide, mené par Pierre Fresnay dans le rôle principal. Réalisé sous l’occupation, l’histoire de la production, et de la diffusion du film est presque aussi passionnante que le film lui-même! (10/9/2022)
Les Diaboliques (Clouzot, 1955). Une intéressante entrée pour Clouzot, qui rappelle le dispositif du Corbeau, où l’intrigue s’accélère en un crescendo d’incertitude jusqu’à un punch final astucieusement orchestré. Ici, Clouzot choisit de laisser le spectateur dans l’ambivalence. Véra Clouzot démontre son immense talent, basculant entre une puissance désespéré, et une fragilité autant morale que physique. Meurisse est maléfique et Simone Signoret, froide et tragique. Les séquences horrifiques n’ont pas perdu leur mordant. Un film solide. (15/10/2022)
Les sorcières de Salem (Rouleau, 1957). Adaptation par Jean-Paul Sartre de la fameuse pièce The Crucible d’Arthur Miller. Une critique virulente de la culture américaine – beaucoup plus que dans le texte original–, avec quelques élans socialistes propre à Sartre, sans pour autant tomber dans le moralisme simpliste : la conviction de l’interprétation et la sobriété de réalisation y sont pour beaucoup, ici. Le choix de complexifier les personnages féminins, particulièrement Abigail, mais aussi Elizabeth, fonctionnent admirablement et rehaussent le drame. Un excellent film. (18/6/22)
Light of Day (Schrader, 1987). Un drame social plutôt réussi. Michael J. Fox est particulièrement efficace, Joan Jett s’en sort plutôt bien, et Gena Rowland rend parfaitement son personnage dans une sincérité qui nous force à la compréhension, malgré son antagonisme qui aurait pu complètement l’emporter. Malheureusement, la mise en scène rigide manque de complexité et la vie familiale nous apparaît, au final, plutôt artificielle, malgré son rôle central au cœur du drame. La figure du père est complètement évacué, et c’est quelque peu insultant de sous-utiliser de la sorte un acteur de la trempe de Jason Miller. Contrairement à ce qu’on en a dit, cette faiblesse de la mise en scène n’a absolument pas a voir avec un mauvais casting. Les acteurs sont bien à leur place, c’est du côté de la réalisation qu’il faut chercher : Schrader est un meilleur scénariste que réalisateur. Le film a tout de même été pour moi une belle surprise. (25/12/2022)
Mad God (Tippett, 2021). Un trip formel dont les références thématiques, sont mises en scène de manière brutale, scatophile, violente, mais incroyablement intrigante. Si l’attaque sur les sens peut facilement submerger la raison, et même couper l’envie d’y revenir, dans ce cas précis, j’y reviendrai certainement. Les dispositifs de représentation de l’ambivalence, pire, des ténèbres inhérentes à l’humanité et à ses activités, me semblent des plus pertinentes, poétiques et hautement viscéraux. Franchement intéressant. (18/6/22)
Marianne de ma jeunesse (Duvivier, 1955). Une histoire de fantômes (au sens large), une histoire de bandes de garçons, d’un enfant sauvage… Les images sont magnifiques, mais le jeu théâtral, bien que souvent juste, manque de finition. Un conte de fée hyper-romantique à la réalisation inégale, mais non dépourvue d’intérêt. (24/6/22)
Monsieur Klein (Losey, 1976). Une histoire de double, de virtualité, de fascination, et d’un étrange voyage hors de l’indifférence, sous le règne de la collaboration en France occupé – un sujet controversé, la plupart du temps évoqué à voix basse. La réalisation fait parfaitement le pont entre l’esthétique classique américaine et une sensibilité toute européenne, avec des séquences qui rappellent aussi bien Kubrick que Melville, et préfigure même Lynch. Alain Delon joue avec sa retenue caractéristique qui complexifie son personnage en ne révélant qu’au compte-goutte l’ambivalence de sa psyché. Michel Lonsdale offre également une impressionnante performance, mais c’est la maitrise de la réalisation qui triomphe, ici. (6/2022)
Mort à Venise (Visconti, 1971). Le matériau qu’adapte ici Visconti permet d’explorer ses propres conflits intérieurs. La doctrine catholique, à laquelle il s’est toujours associé, ne pouvait qu’entrer en conflit avec son homosexualité. Ce thème était central au discours qui transparait dans son film précédent, Les Damnés. Dans Mort à Venise, il semble inscrire son art dans une forme de dialectique entre le plaisir des sens et l’utopie de la beauté spirituelle chère catholicisme, un dualisme bien présent dans l’art occidental depuis le Romantisme, teinté de la culture judéo-chrétienne dominante. Le sujet est délicat : un fantasme pédérastique en vient à profondément troubler le protagoniste, qui tente tant bien que mal d’intérioriser le tout. Mais les émotions conflictuelles que la situation génère l’accablent viscéralement, tout comme l’épidémie qui s’étend sur la ville. Le tumulte est paradoxalement filmé avec une caméra méditative et lyrique, ponctuée de flashbacks où Visconti élabore son discours artistique qui, sous le signe d’un catholicisme assumé mais intransigeant, surenchérit le caractère tragique de la nouvelle de Thomas Mann. (20/2/2022)
Nightmare Alley (Goulding, 1947). Ce film opère quelque chose qui ne se voulait certainement pas volontaire de la part de l’auteur du roman original – je ne l’ai pas lu. Ce film, donc, présente trois personnages féminins qui gravitent autour du protagoniste principal, un homme amoral dont la chute et le sort funeste est amplement mérité. Chacune s’en sortent en triomphant, à leur manière. L’aînée vertueuse conserve sa dignité, la femme-enfant écoute sa conscience et s’empêche de sombrer dans la déchéance de l’antihéros – bien que le happy-end forcé rende son sort ambigu –, et la maléfique manipulatrice remporte la partie en parvenant à sur-escroquer l’escroc et s’en sortir affreusement riche. Ce triomphalisme féminin est atypique dans les films noirs de l’époque, et l’indépendance de l’aînée et de la vilaine – cette dernière est d’ailleurs une femme de carrière totalement épanouie et en contrôle dont l’atout principal est l’intelligence et non son charme – me semblent particulièrement admirable et renverse les codes du genre. Le jeu des actrices y est pour beaucoup. Si la femme-enfant de Coleen Gray s’apparente le plus aux héroïnes passives du Hollywood de l’époque, Joan Blondell, et particulièrement Helen Walker, affirment leur féminité avec une puissance qui rend tout à fait crédible la chute du protagoniste. Je ne suis pas un expert du film noir américain des années 40, mais je ne peux m’empêcher de voir en Nightmare Alley un renversement féministe particulièrement habile des rôles genrés habituels au cinéma hollywoodien de l’époque. (5/2/2022)
O Brother, Where Art Thou? (Coen, 2000). D’abord un divertissement efficace, sans jamais se leurrer quant au côté sombre de la culture du sud des États-Unis (du début du XXème siècle, de surcroit), il faudra sans doute une étude approfondie pour ressortir toutes les implications socio-historiques présentes dans ce film. C’est une aventure, une odyssée (toute avouée d’emblée) sans réel temps mort. (13/8/2022)
Parlez-nous d’amour (Lord, 1976). Ce film est tout un accomplissement. Une critique virulente de la société québécoise de l’époque, avec pour cible le vedettariat de la scène télévisuelle. Jacques Boulanger, animateur à la mode, est à l’origine de bien des anecdotes que Jean-Claude Lord et Michel Tremblay ont par la suite mis en récit, en plus de jouer le rôle titre. Un acte de courage? Un suicide professionnel? Le personnage est à la fois profiteur, orgueilleux, ambitieux, mais bien vite dégoûté et accablé par la misère, sans pour autant s’avérer capable de sortir complètement du manège. Boulanger joue avec justesse, parmi une distribution de légendes : Claude Michaud, Benoît Girard, Manda Parent (à la fois touchante et pathétique), Rita Lafontaine, André Montmorency, Monique Mercure, Michelle Rossignol, Denis Drouin… Si l’image demeure fortement imprégnée du documentaire, ce qui restera longtemps une caractéristique formelle du cinéma de fiction québécois, la mise en scène et le montage rappelle un Altman en grande forme. La première heure passe de moments hilarants aux pires malaises, alors que le tragique s’immisce, et finit par presque dominer, la seconde moitié. Caustique, mais bon. (25/3/2022)
Return to the 36th Chamber (Lau, 1980). Après l’excellent The 36th Chamber of Shaolin, je m’attendais à du « réchauffé » pour le second volet de cette trilogie informelle. Mais cette suite est un petit bijou du cinéma de kung-fu. Toujours, la problématique sociale, et le héros d’abord peu crédible, qui s’entraîne pour devenir meilleur, entêté devant un maître qui le manipule pour le mieux. Et de ces valeurs sociales et martiales émergent le sauveur qui se bat avec les armes du travailleur : de la corde de bambou et des échafaudages. Et la comédie, au cabotinage typique de l’école hongkongaise, nous permet d’accueillir cette fable morale sans sourciller. C’est aussi ça, le cinéma! (décembre 2022)
Sex, Lies and Videotape (Soderbergh, 1989). La répression sexuelle en milieu petit bourgeois du sud des États-Unis est un sujet déprimant et franchement emmerdant, du moins à mes yeux. Il n’y avait que Soderbergh pour en faire quelque chose d’aussi intéressant. Dans les faits, le film se construit à partir d’une scène centrale, autour de laquelle le reste tourne, dans une espèce de crescendo au rythme légèrement inégal, mais dont le chemin en vaut franchement la peine. Car cette scène centrale n’est rien de moins qu’un moment d’anthologie du cinéma américain. Un drame puissant aux implications profondes, une étude sociale surprenante, une leçon de mise en scène et de jeu. (5/2022).
Shattered Glass (Ray, 2003). C’est un biopic qui possède les stigmates obligatoires du biopic : un montage qui atténue un peu trop la mise en scène par des dispositifs inutiles (la scène de la salle de classe fait vraiment artificielle), la musique d’une platitude épouvantable, etc. Cependant, l’histoire est intrigante, le scénario est somme toute efficace, et la distribution assure (Christensen et Sarsgaard forment un excellent duo). Un film agréable, mais formellement faible. (8/7/2022)
Southland Tales (Kelly, 2006). J’écrirai davantage sur ce film dans les prochaines semaines, mais il est clair que ce film est un grand film des années 2000s, peut-être même un chef-d’œuvre, certes mal compris à l’époque, qui s’avérera prophétique par la suite : le thought control du parti républicain, la montée des influenceurs, etc. Un équilibre parfait entre comédie scabreuse et moments de révélation tragiques qui offre à des acteurs la chance de briller par leur contre-emploi. Ambitieux, certes, baroque, sans doute, mais pas aussi décousu qu’on l’a décrit. (décembre 2022)
Teorema (Pasolini, 1968). Un étranger séjourne dans une famille bourgeoise italienne (le père, la mère, le fils, la fille, et la bonne), puis quitte, après avoir provoqué, chez chacun, une profonde transformation, unique, extrême, bénéfique ou mortifère – on est au-delà de la morale car l’expérience est, pour chacun, totalement subjective. Une exploration politico-religieuse sous forme de thèse allégorique qui fonctionne parfaitement en tant qu’œuvre d’art cinématographique. Un film d’une profondeur incroyable où, même si les convictions de l’auteur transparaissent avec une clarté presque naïve, un certain mysticisme demeure, peut-être dû à la maîtrise incroyable du medium que possède Pasolini. C’est une œuvre admirable, possiblement un chef-d’œuvre dans le sens universel du terme, et je m’en veux d’avoir pris tout ce temps avant de le voir. (21/3/2022)
The Adventures of Robin Hood (Keighley, Curtiz, 1938). C’est… particulier. Globalement, très bon, mais pour l’œil d’un spectateur de ma génération, j’avoue que les clichés, dans tous les départements de la production, sont plutôt douloureux… Et beaucoup de ces clichés proviennent justement de ce film – et vont se répéter encore et encore dans les productions cinématographiques, puis télévisuelles jusqu’à aujourd’hui. Souvent de manière parodique, mais aussi dans des œuvres « sérieuses ». Ceci dit, il y a quelques bons coups. Le Prince John de Claude Rains est splendide. Il est typé, mais Rains le joue avec suffisamment de retenue pour ne pas sombrer dans la caricature du super-vilain des serials de l’époque. Olivia de Havilland joue également straight, ce qui contraste avec l’exubérance presque satirique d’Errol Flynn (c’est à ce demandé à quel point il en était conscient…). Et si le matériel thématique de la trame sonore de Korngold demeure très conventionnel, ses orchestrations sont surprenantes, modernes, et ont très bien vieillies. On reconnait la filiation – avouée, totalement – avec John Williams dans les arrangements et la rythmique. (15/10/2022)
The Batman (Reeves, 2022). Une proposition franchement intéressante du fameux super-héros, franchement bienvenue après la triple déception signée Christopher Nolan – oui, le deuxième volet avait de bons moments – qui semble malgré tout avoir la cote encore aujourd’hui. Ici, Reeves s’intéresse à Batman en tant que détective qui affronte un bien intéressant monde criminel dont l’influence s’étend au plus profond du politique. Batman est dépendant de ses alliés, aussi, ce qui n’est pas souvent le cas, et permet à des personnages comme Catwoman, Alfred, mais surtout Gordon, - habilement interprétés, d’ailleurs – de prendre davantage d’importance. Bien qu’on étire un peu trop la sauce vers la fin, l’ensemble est plutôt réussi, dans l’esprit des romans graphiques de Frank Miller qui ont réinventés le personnage il y a trente ans. (24/6/22)
The Damned (Visconti, 1969). Que dire sur ce film? Une œuvre sur l’inhumanité, la monstruosité, que j’ai trouvée beaucoup plus insoutenable que le Salo de Pasolini. Visconti semble d’abord se questionner sur la manière de concevoir sa propre homosexualité, en donnant à son amant du moment le rôle de celui qui s’avèrera le protagoniste principal. On le présente d’abord dans un spectacle de travesti. Donc, qu’est-ce que l’homosexualité? Est-ce une perversité (Visconti était très attaché à la doctrine catholique)? Une simple préférence sexuelle? Un « jeu »? Mais bien vite, on délaisse ce questionnement, en s’enfonçant dans la mise en scène de véritables perversions. Car ce protagoniste qui aime jouer à Marlène Dietrich n’est pas nécessairement homosexuel, et ses réelles déviances sont tout autre : il se jette tout à fait volontairement dans la soif de pouvoir économique, l’avarice, l’ambition, l’égotisme, mais aussi la pédophile, l’inceste, la débauche… qui ne sont rien comparé à la plus vicieuse, perfide et maudite de toutes les perversions : le totalitarisme, et dans ce cas particulier, le nazisme. Celui-ci comprends toutes les perversités, toutes les tares de la condition humaine, et les ordonnent afin d’en faire un instrument de pouvoir et une spirale de mort. Ce film est une chute, une démonstration presque algébrique de la création de la monstruosité, de la plus pure déshumanisation. (1/2022)
The Heroic Trio (To, 1993). Une pulp comedy non sans intérêt, mais qui s’essouffle dans son propre esprit comique en plein climax. Le visuel est superbe et les gags fonctionnent bien, pour l’ensemble – on aurait pu mettre moins de pathos dans la musique déjà un peu trop synthétique. On en donne un peu trop au final, mais Maggie Cheung est hilarante en chasseuse de prime grande-gueule. (27/8/2022)
The Night Porter (Cavani, 1974). Un autre film sur la folie du troisième Reich, peut-être moins épique que The Damned, mais dont le propos n’en demeure pas moins fort : la perversion nazie est mortifère, monstrueuse, au sens où elle corrompt toutes les relations et entreprises humaines, même dans la manière qu’on y résiste – Lucia est condamnée à souhaiter la présence de son ancien tortionnaire, malgré sa violence et sa folie. L’ambivalence du propos est claire et mise en scène par une sorte de poésie brutale qui rend malheureusement le dernier acte quelque peu redondante. Le film demeure puissant, malgré ce défaut. (4/2022)
The Watermelon Woman (Dunye, 1996). Un monument du cinéma queer, ce film traite de l’absence de représentation, sous la forme d’un faux documentaire à propos d’une actrice afro-américaine lesbienne qui n’existe pas. Sur un mode élégiaque, la cinéaste se crée une filiation cinématographique, dans laquelle elle s’insère, afin de contrer le fait que sa propre condition d’artiste queer a été négligé par ceux qui ont écrit l’histoire (dans ce cas-ci, l’histoire du cinéma). En parallèle, le film propose un récit se déroulant dans le milieu lesbien de Philadelphie avec des personnages charismatiques et attachants qui tournent autour d’une version fictionnelle de la cinéaste elle-même. Un film important. (8/2022)
YUL 871 (Godbout, 1966). Alors que les films québécois de fiction, à la naissance du cinéma moderne, sont clairement imprégnés de l’esthétique du cinéma direct – une invention toute québécoise – voilà Jacques Godbout qui délaisse la caméra documentaire et adopte une approche beaucoup plus en phase avec l’Hollywood qui inspira la Nouvelle Vague. Visuellement, ce film est captivant, mais ça ne s’arrête pas là : cette tranche de vie d’un voyageur européen à Montréal est franchement bien construite, somptueusement mise en scène, et tente, du moins discursivement, de créer un pont entre Montréal et le reste du monde. Affectivement et historiquement. Superbe. (7/2022)