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Sunday, February 16, 2025

Critiques cinéphiliques 2024

 

Birds of Prey (and the Fantabulous Emancipation of One Harley Quinn) (Yan, 2020). Inventif et rafraichissant sans pour autant révolutionner le genre. L’antagoniste savoureux n’est rien de moins qu’une incarnation amusante du patriarcat misogyne colonialiste. Sympathique.

De la guerre (Bonello, 2008). Un réalisateur en quête existentielle s’investit dans un étrange culte fasciné par le plaisir, dont la quête est vue comme une guerre. Un film stylistiquement proche de la perfection, aux cadres d’une précision désarmante, aux références extratextuelles justes et pertinentes (Denis Villeneuve devrait s’y faire faire leçon : Michel Piccoli en Colonel Kurtz est tellement plus puissant que le baron Harkonnen émulant le même personnage!). Mais une énigme demeure : si, comme il l’a dit en entrevue, Bonello se refuse à voir son culte comme une influence spécifiquement sectaire, comment se fait-il que le parcours du héros ressemble pourtant en tout point en un endoctrinement? Est-ce à dire que l’accès au plaisir, au XXIème siècle, ne peut se faire que par une radicalisation sociale et morale? La dialectique qui s’opère entre la sensualité évoqué symboliquement par les membres de la secte et l’apparence ultraconservatrice de la  maîtresse du culte illustre à merveille les pôles de la juridiction du plaisir à notre époque. Prodigieux. (6/4/2024)

eXistenZ (Cronenberg, 1999). Cronenberg est vu par beaucoup comme un grand auteur de cinéma, et ses dévots peuvent parfois le défendre avec un brin d’agressivité. Soit, il a ses moments : Dead Ringers est un grand film, Naked Lunch atteint l’impossible, Scanners (probablement mon préféré) est un pugnace petit film qui aspire à être beaucoup plus que son budget limité ne pourrait le contraindre… Mais Cronenberg a aussi tendance à une naïveté qui vient désamorcer de manière fâcheuse certaines de ses finales. Videodrome (dont on ne peut, cependant, critiquer la puissance de son esthétisme plastique), par exemple, et eXisteZ aussi. Si, du point de vue de la mécanique narrative, leur finale fonctionne très bien, l’exécution semble bâclée, comme l’aurait fait un jeune aspirant-réalisateur inexpérimenté. Dans eXistenZ, je ne parle pas de la révélation principale, mais bien de la toute dernière péripétie du film, quoiqu’il se reprenne ultimement avec un gag digne du They Live de Carpenter. Ma conclusion demeure inchangée : Cronenberg est un auteur, certes, mais bien inconstant. Dans ce cas précis, cependant, l’ensemble est plutôt réussi, malgré la fin un peu forcé. Somme toute bon. (24/5/2024)

Furiosa: A Mad Max Saga (Miller, 2024). L’exploit de battre Fury Road était bien improbable. Le visuel de ce film – c’était l’une des forces du volet précédent – parait souvent désuet et mine la dimension épique que l’on tente d’évoquer. Cela s’améliore au moment de l’arriver d’Anya Taylor-Joy, fort heureusement, mais la finale souffre de longueurs qui auraient facilement put être évitées. L’œuvre est donc inégale mais pas dépourvu d’intérêt. Taylor-Joy est puissante, et Hemsworth, bien qu’il ne soit pas l’acteur le plus adroit du lot, offre une performance somme toute sympathique. Correct. (2/11/2024)

Gamera : Guardian of the Universe (Kaneko, 1995). Un Kaiju des plus sympathiques à la réalisation maîtrisée, aux effets visuels typiques mais amusantes. Reboot de la série Gamera. Livre amplement la marchandise.

Godzilla Minus One (Yamazaki, 2023). Sans jamais atteindre les sommets de la relecture d’Hidaki Anno, cette nouvelle adaptation est somme toute assez réussie, malgré son intrigue et sa forme conventionnelles. Mais les personnages sont interprétés avec suffisamment de flair pour être attachants au point que les clichés finissent par nous charmer. La thématique d’une guerre absurde (la Seconde Guerre mondiale) qui plonge dans un dilemme impossible un héros accablé de doutes est malgré tout bien usinée. (4/5/2024)

Hellboy: The Crooked Man (Taylor, 2024). Scénario extrêmement bien construit, une distribution plus qu’impeccable. Mais une immense lacune à la réalisation, surtout, et au montage, ce qui est extrêmement dommage. Et ce n’est pas du tout une question de moyens pécuniaires. Car bien que l’on vise parfois au-delà de son budget, au final, ce sont les défauts de mise en scène et de ponctuations (de « punch »), et un manque de maîtrise des dispositifs cinématographiques, qui viennent miner l’entreprise. Ainsi des situations prometteuses comme le siège de l’église ou les quelques visions qui se voudraient horrifiques – le serpent qui enlace la femme en lévitation, par exemple – tombent à plat. Ce qui brille, dans ce film, ce sont les moments plus intimes, grâce au savoir-faire des acteurs en puissance. Par son scénario, qui sans réinventer la roue se veut fort solide, le film s’élève au-delà de beaucoup des fantaisies hollywoodiennes qu’on nous sert depuis une dizaine d’année mais… À tout le moins, ça m’a donné le goût de lire le matériel source. (19/10/2024)

Heroic Times (Gémes, 1984). Adaptation de la trilogie de Toldi de János Arany sous forme, principalement d’animation à la peinture d’une facture graphique postimpressionniste sublime. Une déconstruction étonnante du mythe du héros médiéval (assumée d’emblée par le titre totalement antithétique) au visuel magistral qu’accompagne une musique orchestrale résolument moderniste dont l’effervescence souligne à merveille le drame et la violence du propos. Excellent. (9/3/2024)

Inside Man (Lee, 2006). Exercice de style de Spike Lee. Un heist movie efficace, à la distribution ridiculement experte. Le style rétro-classique est amplifié par une musique typée, qui agit comme le souvenir fugace des vieux films noirs hollywoodien. Le commentaire social, dont on est en droit de s’attendre du cinéaste, est juste assez subtil pour laisser toute la place une histoire emphatique, potentiellement satisfaisante, et très typique du self-made vigilante dont est friand l’imaginaire américain. La particularité, ici, est qu’on nous présente deux cas-type, l’un jouant à l’extérieur du système, l’autre à l’intérieur, dont les efforts combinés s’attaquent au final à une importante figure capitaliste au passé amoral. Efficace et bien usiné. (29/3/2024)

Joker : Folie à deux (Philips, 2024). Mieux que la majorité des films du genre, et définitivement meilleur que le premier, dont la psychologie naïve n’arrivait pas à rencontrer l’ambition de sa proposition. Lady Gaga excellente. Mais malgré tout, ce film ne m’a pas trop enthousiasmé.

Megalopolis (Coppola, 2024). Malgré les bonnes intentions, Coppola s’embourbe dans d’impressionnantes maladresses à tous les niveaux. Pour la vision optimiste d’une humanité future au projet utopique, il s’entête à raconter l’histoire d’un sauveur, avec tous les clichés pseudo-scientifico-christiques possibles, que les quelques bonnes idées – et véritables surprises – du film ne parviennent à réchapper. Regorgeant d’effets spéciaux de piètre qualité malgré les moyens à sa disposition, l’image est tout aussi décousue que le scénario, et l’ensemble rappelle un peu les ambitions manquées de son vieux compagnon Lucas lorsqu’il avait repris Star Wars au tournant du siècle. Car on veut, ici, rien de moins que redéfinir les paradigmes du cinéma, et l’échec en est spectaculaire!
La distribution est solide, mais pourquoi Coppola s’entête-t-il à enchaîner des séquences qui furent d’évidentes expérimentations sur le plateau, qu’un cinéaste judicieux aurait coupé au montage, acceptant leur échec, ne serait-ce que pour ne pas couvrir de honte des acteurs pourtant compétents? Et les bonnes intentions ne parviennent pas à sortir Coppola d’une pensée véritablement datée, où l’homme seul détient le véritable esprit, alors que la femme ne peut aspirer à n’être autre chose, au final, qu’une commodité. Et dans son désir de montrer la décadence de la société du paraître, le cinéaste ne fait qu’y déverser sa libido dans des séquences franchement malaisantes.
Dans le genre – la décadence de l’empire américain, le culte de la personnalité, l’épopée moderne de science-fiction, etc. – d’autres ont fait beaucoup mieux : je pense particulièrement à la version longue de Southland Tales, de Richard Kelly. Le Metropolis de Lang offre grosso-modo la même résolution, déjà problématique en 1927 pour cause de scénariste aux sensibilités national-socialistes… Fellini se retournera dans sa tombe un millier de fois à chaque nouvelle projection de la séquence du cirque quelque part dans le monde. Tout comme Wyler lors de la course de char en miniature qui souffre terriblement de ce que Zappa appelait affectueusement cheepniss, propre aux films de série B des années 50… évidemment très éloigné des prétentions actuelle de Coppola.
Une chose est sûre, cependant, comme l’a noté le critique de 24 images, on ne s’ennuie jamais dans ce film, car le flot de l’histoire est tellement cahoteux, que l’on finit toujours par être surpris. Par l’audace, la folie, la bêtise? Un mauvais film est rarement aussi outrancier! (23/9/2024)

Monkey Business (McLeod, 1931). Il devient bien évident, à la fin de ce film, que les frères Marx ne sont pas humains. Ce sont des forces de la nature, des degrés d’intensité du chaos : Zeppo, le degré zéro, l’ultime straight man qui est autant « outsider » aux 3 autres que les 3 autres sont « outsiders » au réel – j’adore qu’il soit la vedette de la finale; Groucho, au verbiage magistral, dont la démarche est aussi impertinente que ses incessants commentaires; Chico, faussaire génial – un italien, un pianiste, un pantomime burlesque? –; mais lorsqu’on atteint le niveau d’Harpo, plus rien à dire : il est purement et simplement le dieu de l’entropie. Le film est un enchaînement de comédies de situation, de jeux de mots tellement ridicules et tirés par les cheveux qu’on ne peut ravaler son rire, et d’habiles et économiques routines de Vaudeville. Ce film révèle également l’imposante présence de Thelma Todd en partenaire parfaite pour Groucho (en l’absence de Margaret Dumont) qui, cette fois, ne subit pas les mesquineries du comédien autant qu’elle s’éleve, la majorité du temps du moins, en son égal. Bref, malgré une prémisse simple qui n’est que prétexte, ce film est un véhicule solide pour démontrer la grande force des frères Marx en tant que performeurs comiques. (6/7/2024)

New Rose Hotel (Ferrara, 1998). Thriller cyberpunk dont le motif esthétique central est l’image de surveillance, qui préfigure notre époque, où l’image numérique est omniprésente. L’image de surveillance finit par devenir un mode de la mémoire même des personnages. Basé sur une nouvelle de William Gibson, ce film choisi de s’intéresser non pas au cœur même de l’intrigue – la séduction d’un scientifique pour en faire un transfuge corporatif – mais bien à la psychologie des deux maîtres à penser du coup, et leur rapport avec la femme, celle qui met sa vie en jeu pendant ces événements que l’on se refuse à nous montrer. Cela à pour effet de questionner la valeur même de la mémoire au moment où se trame la trahison finale. Nous nous retrouvons tout aussi déroutés que le personnage de Wilhelm Dafoe, faisant de ce film une expérience étrangement immersive. (20/4/2024)

On-gaku (Iwaisawa, 2019). Le laisser-aller et l’inertie de la jeunesse est au cœur de cette histoire où la musique devient une échappatoire pour des adolescents blasés et emprisonnés dans une routine de conventions sans buts. Finalement, le nihilisme de la jeunesse devient aussi absurde que surréel, pour en former un baume existentiel. (20/4/2024)

Perfect Days (Wim Wenders, 2023). Ce film est un baume pour l’âme. Superbe slice-of-life où le quotidien transcende l’ordre cosmique pour une ode à la contemplation et à la civilité. Subtilité parfaite pour ne pas tomber dans un moralisme superflu, on n’y retrouve qu’une méditation sur la vie et la sérénité. Grandiose. (24/8/2024)

Ronin (Frankenheimer, 1998). Un film d’action, un heist movie aux accents de thriller, à la réalisation habile et efficace. Le scénario souffre de nombreuses lacunes, cependant. En fait, on mise tellement sur les séquences d’actions qu’on se permet de réduire le développement de personnage à des clichés vite faits. N’empêche, ce film rappelle les films d’actions français des années 80 – à la « Le professionnel », de Lautner – ce qui n’est pas désagréable. Efficace est le bon qualificatif. (10/2/2024)

The Hunt (Zobel, 2020). Comédie d’horreur satirique qui s’arme d’une ambiance série-B pour tomber sur les tares de « l’ère Trump » : conspirationnisme, la violence des échanges sur les réseaux sociaux, la cancel culture, et l’imprégnation de la l’imaginaire mainstream états-uniens par les valeurs progressistes au cœur de la guerre idéologique qui sévit chez nos voisins du sud. Le cinéaste et les scénaristes semblent préférer « tirer sur tout ce qui bouge », adoptant ainsi une posture cynique plutôt qu’engagée. Amusant, mais peut-être, au final, un peu vain. (29/3/2024)

Tomie (Oikawa, 1998). Variation sur le thème du double dont la finale est un peu trop facile pour l’ambition de l’ensemble, même à l’époque de production. De très bonnes idées malgré tout. Miho Kanno excellente en adolescente cruelle et manipulatrice.

Weird : The Al Yankovic Story (Appel, 2022). Une fabulation facétieuse de la carrière de « Weird » Al Yankovic, incluant Madonna en succube avide de pouvoir, Pablo Escobar en monstrueux « adulescent », et Salvador Dali discutant avec Andy Warhol dans une arrière-cour de banlieue. Usage judicieux de clichés cinématographique (le biopic, bien sûr, le film d’action reaganite, le série Z aux costumes douteux et au jeu amateur, et de nombreuses citations directes). Daniel Radcliffe joue avec conviction et le film enchaîne les intrigues absurdes sans jamais s’essouffler. Fort sympathique. (18/5/2024)

 

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